Le directeur du RNDDH multiplie les rencontres diplomatiques dans la capitale américaine pour alerter sur l’effondrement de l’État haïtien. Sa mission : mobiliser la communauté internationale avant qu’il ne soit trop tard.
Quand Pierre Espérance se déplace à Washington, ce n’est jamais bon signe pour Haïti. Le directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a entamé mardi une tournée diplomatique d’urgence dans la capitale américaine, portant un message aussi clair qu’alarmant : l’État haïtien s’effondre sous les coups des gangs armés, et seule une mobilisation internationale massive peut encore sauver le pays.
Son agenda chargé en dit long sur la gravité de la situation. CARICOM, OEA, Commission interaméricaine des droits de l’homme, Human Rights Watch, membres du Congrès américain… Pierre Espérance frappe à toutes les portes qui comptent. Son objectif ? Faire comprendre aux décideurs internationaux que les « ti kouto » d’hier sont devenus les maîtres d’aujourd’hui.
Viv Ansanm et Gran Grif : quand les gangs font la loi
Les chiffres que Pierre Espérance présente donnent le vertige. Les coalitions Viv Ansanm et Gran Grif ne se contentent plus de contrôler quelques quartiers de Port-au-Prince. Elles imposent désormais leur domination sur des zones entières de la capitale, du Plateau Central et de l’Artibonite. Pour les Haïtiens de la diaspora qui gardent des attaches dans ces régions, le message est clair : leurs proches vivent sous la terreur quotidienne.
« Barbecue » Chérizier, le leader de Viv Ansanm, ne se cache même plus. Il a lancé une plateforme politique du même nom, tentant de transformer son groupe criminel en mouvement politique légitime. Une stratégie cynique qui exploite le vide institutionnel laissé par un État défaillant.
L’embargo sur les armes : un échec retentissant
Pendant ce temps, à New York, le Comité des sanctions de l’ONU se réunissait lundi à huis clos pour faire le bilan de l’embargo sur les armes à destination d’Haïti. Le verdict est sans appel : l’embargo est un échec. Depuis août 2024, aucune saisie officielle d’armes n’a été enregistrée en Haïti, alors que les cargaisons illicites continuent d’alimenter les gangs.
Le cas de Prophane Victor, sanctionné pour ses liens avec des bandes de l’Artibonite, illustre parfaitement cette impuissance. Seuls trois de ses comptes bancaires ont été gelés, pour un montant dérisoire. Les fonds avaient bien sûr été déplacés en amont. À ce jour, seulement sept individus figurent sur la liste des sanctions ciblées de l’ONU. Une goutte d’eau dans l’océan de la criminalité haïtienne.
Un gouvernement qui navigue à vue
La nomination d’Alix Didier Fils-Aimé à la tête du gouvernement en novembre 2024, après la destitution de Garry Conille, devait relancer la transition. Force est de constater que rien n’a changé. Le Conseil électoral provisoire, mis en place en décembre, reste inactif. L’aéroport international de Port-au-Prince ferme régulièrement sous les balles des gangs. Les hôpitaux sont détruits un à un.
Pour les Haïtiens qui espéraient un sursaut, le constat est amer. Le pays sombre dans un chaos que même les observateurs les plus pessimistes n’avaient pas anticipé.
La MMAS : dernier espoir ?
Face à cette débâcle, le Conseil présidentiel de transition a officiellement demandé en octobre 2024 la transformation de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, en véritable opération de maintien de la paix sous mandat onusien. Une mission d’évaluation a été dépêchée par le Conseil de sécurité, mais aucune décision ferme n’a encore été prise.
Pour Pierre Espérance, le temps presse. Il plaide pour un soutien massif aux forces haïtiennes de sécurité, une lutte coordonnée contre les circuits financiers des gangs et une pression diplomatique soutenue sur tous les acteurs impliqués dans le chaos haïtien.
La mission de Pierre Espérance à Washington ressemble à un cri du cœur lancé depuis une Haïti à l’agonie. Ses interlocuteurs sauront-ils entendre l’urgence de ses propos ? L’avenir d’Haïti pourrait bien se jouer dans les bureaux feutrés de la capitale américaine. Car comme le dit si bien le proverbe haïtien : « Lè chen gen grangou, li pa konn mèt » – quand le chien a faim, il ne reconnaît plus son maître.