Face à une situation sécuritaire dramatique, la FOKAL et l’Union européenne misent sur la culture pour maintenir l’âme haïtienne vivante. Le projet REVIV, doté de 250 000 euros sur trois ans, veut redonner espoir aux artistes du pays et de la diaspora.
À l’heure où les balles sifflent dans les rues de Port-au-Prince et que l’insécurité paralyse le pays, une autre bataille se livre en coulisses : celle de préserver l’âme créative d’Haïti. Mercredi 16 juillet, dans la sérénité relative de Pétion-ville, la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) et l’Union européenne ont lancé le projet REVIV, un pari audacieux pour maintenir la flamme culturelle haïtienne allumée.
L’art comme bouée de sauvetage
« L’accès à la culture est important, surtout en période de crise », rappelle Lorraine Mangonès, directrice générale de la FOKAL. Une évidence que partagent les millions d’Haïtiens dispersés à travers le monde, qui puisent dans leur patrimoine culturel – kompa, rara, peinture naïve, littérature – la force de maintenir leur identité malgré l’éloignement.
Car si la violence des gangs fait la une des médias internationaux, la résistance culturelle haïtienne, elle, continue de battre au rythme des tambours et des pinceaux. Dans les ateliers d’art de Brooklyn, les associations culturelles de Miami ou les centres communautaires de Montréal, la diaspora maintient vivantes les traditions ancestrales tout en innovant.
250 000 euros pour trois ans d’espoir
Le projet REVIV ne mise pas sur les grands gestes, mais sur l’accompagnement concret. Avec son budget de 250 000 euros répartis sur trois ans et quatre appels à projets successifs, l’initiative vise les organisations culturelles, les artistes, les artisans et surtout la jeunesse – cette génération qui grandit entre violence urbaine et héritage culturel millénaire.
Johann Eidman, représentant de l’Union européenne en Haïti, a défini trois axes stratégiques : promouvoir la diffusion des œuvres même en temps de crise, dynamiser les organisations culturelles et assurer une meilleure visibilité des actions menées. Un programme qui résonne particulièrement chez les créateurs de la diaspora, souvent en quête de plateformes pour faire connaître leurs œuvres.
Deux appels à projets pour démarrer
Dès ce mois de juillet, deux appels à projets ouvriront la voie : « L’art et la culture pour les droits humains » et « La culture, témoin de notre avenir commun ». Des intitulés qui ne laissent pas de place au hasard dans un contexte où la culture devient un acte de résistance civique.
Garry Lubin, chef de projet, invite tous les acteurs concernés à se mobiliser. Pour les artistes haïtiens établis à l’étranger, ces opportunités pourraient permettre de créer des ponts entre leurs communautés d’adoption et leur terre natale, contribuant ainsi à maintenir les liens culturels par-delà les frontières.
La programmation 2025 : entre formation et économie orange
Le calendrier est ambitieux : sessions d’information en septembre, formation en gestion culturelle pour les organisations sélectionnées en novembre, et deux conférences régionales sur l’économie orange en format hybride. Cette dernière approche, mêlant présentiel et virtuel, permettra aux créateurs de la diaspora de participer activement aux échanges.
L’économie orange – ce secteur qui englobe les industries culturelles et créatives – représente un enjeu majeur pour Haïti. Dans un pays où le secteur formel peine à créer des emplois, la créativité pourrait devenir un moteur économique alternatif, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays des Caraïbes.
La culture comme cohésion sociale
Lorraine Mangonès l’affirme sans détour : l’art favorise la cohésion sociale et stimule la créativité. Une vérité que vivent quotidiennement les communautés haïtiennes à l’étranger, où les festivals culturels, les expositions d’art et les concerts deviennent des moments de retrouvailles et de transmission intergénérationnelle.
À Miami Beach, lors du festival Haitian Compas, ou dans les galeries de Harlem qui exposent l’art contemporain haïtien, la culture joue ce rôle fédérateur que les institutions politiques peinent à assurer au pays.
Défis et détermination
Malgré l’initiative REVIV, les défis restent colossaux. Comment protéger les artistes qui continuent de créer sous la menace ? Comment ouvrir des espaces sécurisés pour la création quand les gangs contrôlent une grande partie du territoire ? Comment faire de la culture une priorité nationale quand la survie quotidienne occupe tous les esprits ?
Pourtant, la détermination des créateurs haïtiens demeure intacte. Dans les studios d’enregistrement clandestins de Cité Soleil, dans les ateliers de sculpture du Cap-Haïtien menacés par l’insécurité, ou dans les centres culturels de la diaspora, l’art haïtien continue de pulser.
Un pari sur l’avenir
Le projet REVIV représente bien plus qu’un simple programme de financement. Il constitue un pari sur la capacité de résilience du peuple haïtien, sur cette force créatrice qui a toujours permis à la nation de survivre aux pires tempêtes.
Car si Haïti a donné au monde Frankétienne, Hector Hyppolite, Boukman Eksperyans ou plus récemment Wyclef Jean, c’est que sa sève créative coule plus profond que les crises passagères.
Dans les prochains mois, les sites web et réseaux sociaux de la FOKAL et de l’Union européenne dévoileront les modalités précises de participation au projet REVIV. Pour les artistes haïtiens d’ici et d’ailleurs, c’est peut-être l’occasion de contribuer à écrire un nouveau chapitre de l’histoire culturelle du pays. Car comme le dit si bien le proverbe créole : « Se nan difisile yo pi nan rechèche yo ka jwenn bèl bagay yo » – c’est dans les moments difficiles qu’on découvre les plus belles choses.
