La protestation des habitants de Mirebalais contre l’insécurité a provoqué un débordement d’eau de la centrale de Péligre, inondant sans prévenir plusieurs localités du bas-Artibonite. Une tragédie qui illustre cruellement comment les tensions d’une région peuvent frapper de plein fouet des communautés innocentes, abandonnées par l’État.
L’effet boomerang d’une colère légitime
Depuis une semaine, les habitants de Modèle et d’autres sections communales de Desdunes vivent les pieds dans l’eau. Pourtant, pas une goutte de pluie n’est tombée sur leurs terres. Le responsable ? Une action de protestation menée à Mirebalais, à des dizaines de kilomètres de là, où des citoyens exaspérés par l’inaction face aux gangs ont forcé le débordement de la centrale hydroélectrique de Péligre.
Leur objectif était clair : couper l’électricité vers Port-au-Prince pour faire pression sur le Conseil présidentiel de transition et obtenir enfin des réponses concrètes face aux exactions des bandits armés qui terrorisent leur commune. Une stratégie de désespoir qui reflète l’abandon ressenti par tant de communautés haïtiennes face à un État défaillant.
Mais cette colère légitime a eu des conséquences dramatiques pour des familles qui n’avaient rien demandé. Les eaux relâchées ont saturé les conduits du fleuve Artibonite, transformant des canaux paisibles en torrents destructeurs.
Modèle : quand la géographie devient un piège
Située à une vingtaine de kilomètres au sud des Gonaïves, la section communale de Modèle a payé le prix fort de sa position géographique. Enclavée entre le Chalan et une branche de l’Artibonite, elle s’est retrouvée prise au piège quand le drain Boudette a débordé.
« Lorsque le fleuve est trop chargé, c’est ce drain situé en amont qui vomit l’eau. Et avec le pont Touron, bouché depuis longtemps, les eaux ont envahi les maisons », témoigne Jésura Clairveaux, un habitant de la zone qui a vu son quotidien basculer du jour au lendemain.
Le spectacle est désolant : maisons en bois et en terre abandonnées, familles contraintes à l’exode vers les Gonaïves ou Saint-Marc pour trouver refuge chez des proches. Une situation qui rappelle douloureusement les déplacements forcés que connaissent trop bien les Haïtiens, qu’ils soient victimes de catastrophes naturelles ou de violence.
La solidarité face au vide de l’État
Dans ce chaos, une seule lueur d’espoir : la solidarité légendaire du peuple haïtien. En l’absence totale des autorités, ce sont les jeunes des localités voisines qui ont pris les choses en main pour éviter le pire.
« Plusieurs jours après les inondations, personne n’est encore venu au secours des victimes. N’était la mobilisation de jeunes des localités voisines, les conséquences auraient été bien pires », déplore Wansed Dénéus, un jeune engagé socialement qui tire la sonnette d’alarme.
Son constat est glaçant : « Les gens n’ont plus rien. Ils vivent les pieds dans l’eau, il n’y a pas d’eau potable, et les risques sanitaires sont énormes. »
Des pertes qui s’accumulent
Pendant que l’ODVA (Organisme de développement de la Vallée de l’Artibonite) organise des réunions dans ses bureaux climatisés, sur le terrain, les pertes s’accumulent. Les organisations paysannes font déjà état de dégâts considérables : volailles noyées, stocks de riz détruits dans les moulins, champs de culture entièrement submergés.
Pour ces familles qui vivaient déjà dans la précarité, c’est un nouveau coup dur qui hypothèque leur survie dans les mois à venir. Une situation qui résonne particulièrement chez les Haïtiens de la diaspora, nombreux à avoir des proches dans ces zones rurales souvent oubliées.
Cette tragédie de l’Artibonite illustre parfaitement les maux de notre pays : l’absence chronique de l’État, l’interconnexion tragique de nos problèmes et la résilience extraordinaire de notre peuple. Combien d’autres communautés devront-elles payer le prix de l’inaction gouvernementale avant qu’un véritable plan de développement ne voie le jour ? La question reste entière, pendant que l’eau continue de monter.