Le doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince s’est déclaré incompétent pour suspendre le processus référendaire du CPT. Une décision qui relance le débat sur la légitimité de la nouvelle Constitution et ouvre la voie à d’autres recours juridiques.
Le bras de fer judiciaire autour du référendum constitutionnel vient de connaître un nouveau rebondissement. Mercredi 28 mai, le doyen Bernard Saint-Vil du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince a refusé de se prononcer sur la demande de suspension du processus référendaire, se déclarant « incompétent en raison de la matière ».
Cette décision intervient alors que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) pousse pour l’organisation rapide d’un référendum sur l’avant-projet de nouvelle Constitution, l’un des axes majeurs de sa feuille de route transitoire.
Le CADDHO face aux « dysfonctionnements » institutionnels
Le Collectif des Avocats pour la Défense des Droits Humains (CADDHO), mené par Me Arnel Remy, avait saisi le tribunal en référé pour tenter de bloquer ce qu’il considère comme un processus illégitime. Mais le doyen Saint-Vil les a renvoyés vers « la juridiction compétente » – en l’occurrence, la Cour constitutionnelle.
Un renvoi qui pose problème selon Me Remy : « J’ai compris cette bataille politique », déclare-t-il, soulignant les dysfonctionnements de la Cour constitutionnelle. Pour lui, cette situation illustre parfaitement les failles du système judiciaire haïtien que connaissent bien les citoyens, qu’ils vivent en Haïti ou observent la situation depuis la diaspora.
« Coup d’État classique » : des accusations graves
L’avocat ne mâche pas ses mots. Il qualifie l’avant-projet constitutionnel de « coup d’État classique » et dénonce « l’illégitimité du CPT » qui « n’a aucun droit, ni la qualité d’organiser le référendum ».
Ces accusations résonnent fortement dans un contexte où la légitimité des institutions haïtiennes est déjà largement questionnée. Pour de nombreux Haïtiens, tant sur le territoire national que dans la diaspora, cette nouvelle polémique s’ajoute à une longue liste de controverses institutionnelles.
Une Constitution qui divise : « 10 présidents dans un seul pays »
L’avant-projet soumis le 21 mai dernier par le comité de pilotage de la Conférence nationale contient des dispositions qui font débat. Parmi les changements les plus controversés :
Des gouverneurs élus au suffrage universel : L’article 81 prévoit qu’chaque département sera administré par un gouverneur élu pour cinq ans, indéfiniment rééligible. « C’est comme s’il y aura 10 présidents installés dans un seul pays », s’insurge Me Remy.
Un président renforcé : Le texte fait du président à la fois chef de l’État ET chef du gouvernement, concentrant les pouvoirs exécutifs. Le Premier ministre devient un simple « assistant » chargé de coordonner l’action gouvernementale.
Des âges d’éligibilité revus à la baisse : 21 ans pour être député ou maire, 25 ans pour sénateur, 30 ans pour président – des seuils qui ouvrent la porte à une nouvelle génération politique.
Réorganisation sécuritaire : la BSAP oubliée ?
Le projet redéfinit aussi la « Force publique » autour de deux corps : les Forces Armées d’Haïti et la Police Nationale. Curieusement, la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), pourtant mobilisée dans la lutte contre l’insécurité, n’est pas mentionnée dans cette architecture.
Un combat qui continue
Malgré ce revers judiciaire, Me Arnel Remy se dit « déterminé à poursuivre ce dossier à travers d’autres juridictions ». Il lance même un appel à la mobilisation : « J’invite la population haïtienne à me rejoindre dans cette lutte. »
Pour beaucoup d’observateurs, cette bataille juridique reflète les tensions profondes qui traversent la société haïtienne sur l’avenir institutionnel du pays. Entre partisans d’une refonte rapide des institutions et défenseurs d’un processus plus consensuel, le débat promet d’être long.
Cette guerre juridique autour du référendum constitutionnel illustre-t-elle les limites du système judiciaire haïtien ? Ou s’agit-il simplement d’une étape normale dans un processus démocratique complexe ? Une chose est sûre : le peuple haïtien mérite des institutions légitimes et consensuelles.