Deux siècles après l’imposition de la « dette de l’indépendance » par la France, une coalition internationale d’organisations haïtiennes et caribéennes exige d’Emmanuel Macron qu’il répare cette injustice historique qui continue de plomber le développement d’Haïti.
À l’heure où Haïti traverse l’une des crises les plus graves de son histoire, plus de 60 organisations lancent un appel solennel à la France : il est temps de rembourser la dette d’indépendance, cette « rançon » imposée il y a 200 ans qui continue d’étouffer le pays. Dans une lettre adressée le 29 juillet à Emmanuel Macron, ces organisations dénoncent « le silence de la France pendant des décennies » sur ce qu’elles qualifient de « manquement moral » et d' »injustice aggravée ».
Une facture de dizaines de milliards qui hante encore Haïti
L’histoire est bien connue des Haïtiens, mais souvent méconnue du reste du monde. En 1825, vingt et un ans après l’indépendance d’Haïti, la France impose à l’ancienne colonie de Saint-Domingue une indemnité colossale de 150 millions de francs-or pour « dédommager » les anciens propriétaires d’esclaves de leurs « pertes ». Une somme astronomique que les économistes évaluent aujourd’hui à des dizaines de milliards de dollars.
Cette dette, qu’Haïti a mis plus d’un siècle à rembourser, a littéralement saigné le pays à blanc. Comme l’expliquent les signataires de la lettre : « Haïti a payé deux fois pour sa liberté, et les conséquences de ce paiement continuent de façonner la réalité du pays aujourd’hui. »
Pour comprendre l’ampleur du préjudice, imaginez qu’un pays nouvellement indépendant doive consacrer l’essentiel de ses revenus pendant plus d’un siècle non pas à construire des écoles, des hôpitaux ou des routes, mais à rembourser une dette imposée par son ancien colonisateur. C’est exactement ce qui s’est passé avec Haïti.
« La richesse volée a freiné notre croissance de plusieurs décennies »
Les organisations signataires ne se contentent pas d’arguments moraux. Elles dressent un réquisitoire implacable sur les conséquences économiques de cette spoliation. « La richesse extraite dans le cadre de cette rançon a freiné la croissance du PIB d’Haïti de plusieurs décennies et a engendré un cycle de dépendance à l’égard de l’aide étrangère et de l’endettement qui persiste encore aujourd’hui. »
Cette analyse résonne particulièrement aujourd’hui, alors qu’Haïti dépend massivement de l’aide internationale et que sa diaspora envoie chaque année des milliards de dollars pour faire survivre les familles restées au pays. Les transferts de la diaspora haïtienne représentent près de 25% du PIB national – un chiffre qui illustre cruellement cette dépendance structurelle héritée de la dette coloniale.
Les signataires établissent même un lien direct entre cette dette historique et la vulnérabilité actuelle d’Haïti face aux catastrophes naturelles : « Sa vulnérabilité disproportionnée aux conséquences du changement climatique — ouragans, sécheresses, inondations — et aux tremblements de terre trouve également ses racines dans cette histoire d’extraction coloniale. »
Une coalition internationale impressionnante
La diversité des organisations signataires témoigne de l’ampleur de cette mobilisation. On y trouve des associations haïtiennes comme le Kolektif Ayisyen Afwodesandan (KAAD) et le Centre Anacaona droits humains Haïti, des organisations de la diaspora comme la Haitian Bridge Alliance, des institutions académiques prestigieuses comme le Global Justice Clinic de NYU, et des mouvements de réparations comme N’COBRA.
Cette coalition dépasse même le cadre haïtien avec la participation d’organisations caribéennes comme le Bahamas National Reparations Committee, soulignant que la question des réparations coloniales concerne toute la région.
« Liberté, Égalité, Fraternité » : la France au pied du mur
L’argument le plus percutant de la lettre vise directement la crédibilité internationale de la France. « La France se proclame depuis longtemps championne des droits humains — en effet, ‘Liberté, Égalité, Fraternité’ est inscrit sur ses bâtiments publics. Si la France prend ces idéaux au sérieux, elle doit entamer un processus participatif impliquant le peuple haïtien pour négocier un ensemble de restitutions et de réparations. »
Cette interpellation arrive à un moment symbolique : 2025 marque exactement le 200e anniversaire de l’imposition de cette dette. Un bicentenaire que la France ne peut plus ignorer, surtout alors que les questions de réparations coloniales gagnent du terrain partout dans le monde.
Un test pour la diplomatie française
Cette mobilisation internationale place Emmanuel Macron face à un dilemme. Ignorer cette demande risquerait de ternir l’image de la France comme défenseure des droits humains. Mais y répondre positivement ouvrirait un précédent majeur dans le dossier des réparations coloniales.
Pour les Haïtiens, qu’ils vivent au pays ou dans la diaspora, cette initiative représente plus qu’une simple revendication : c’est l’espoir de voir enfin reconnue une injustice historique qui continue de peser sur leur destin. Car comme le disent si bien nos ancêtres : « Kote dlo pase, li kite mak li » – là où l’eau passe, elle laisse sa trace. La trace de cette dette empoisonne encore aujourd’hui l’avenir d’Haïti. Il est temps que la France l’efface.