Pour relancer les vols domestiques paralysés par l’insécurité, l’État haïtien garantit 11 millions de dollars d’assurance à Sunrise Airways. Une mesure d’exception qui soulève des questions sur l’équité et l’utilisation des fonds publics dans un pays où chaque gourde compte.
Quand l’État devient assureur
L’accord signé le 5 juin 2025 entre l’État haïtien et Sunrise Airways marque un tournant dans la gestion de la crise du transport aérien domestique. Face à l’explosion des primes d’assurance causée par l’instabilité sécuritaire, le gouvernement a décidé d’intervenir directement en garantissant jusqu’à 11 millions de dollars US de couverture supplémentaire.
Cette garantie financière, fournie via le ministère de l’Économie et des Finances sous forme de lettre de crédit irrévocable, permettra à Sunrise de reprendre ses vols vers le Cap-Haïtien, les Cayes, Jacmel et Jérémie. Une bouffée d’oxygène pour ces régions isolées depuis des mois par l’insécurité qui paralyse les routes terrestres.
Mais cette intervention soulève une question fondamentale : pourquoi l’État haïtien, aux finances déjà exsangues, se substitue-t-il aux assureurs privés pour sauver une compagnie aérienne ?
Un privilège qui ne s’étendra pas
Selon nos sources gouvernementales, le cas Sunrise restera « une exception ». Aucun autre transporteur ne bénéficiera d’un soutien similaire, même si d’autres compagnies font face aux mêmes défis sécuritaires et financiers.
Cette position exclusive interroge sur les critères de sélection. Pourquoi Sunrise plutôt qu’une autre compagnie ? Cette question devient d’autant plus pertinente quand on sait que la compagnie accumule des dettes envers le fisc et d’autres institutions publiques.
Pour le gouvernement, la justification est technique : « les investissements initiaux pour monter une compagnie aérienne sont lourds et importants », créant une « barrière naturelle » sur ce marché. En d’autres termes, faute de concurrence, mieux vaut sauver l’existant que d’attendre hypothétiquement de nouveaux entrants.
Le dilemme des prix libres
L’accord ne prévoit aucun plafonnement des tarifs, malgré l’utilisation de fonds publics. Une position que défend le gouvernement au nom de la « loi du marché » et du « jeu de l’offre et de la demande ».
Cette approche libérale surprend dans un contexte où l’État intervient massivement pour sauver l’entreprise. Les passagers haïtiens, qui financeront indirectement cette garantie par leurs impôts, n’auront aucune assurance sur l’accessibilité des tarifs.
Pour nos compatriotes des régions concernées, cette situation est particulièrement frustrante. Déjà privés de transport terrestre sécurisé, ils risquent de se retrouver face à des tarifs aériens prohibitifs, financés en partie par leurs propres contributions fiscales.
L’impact sur les autres modes de transport
Cette intervention gouvernementale aura des répercussions sur l’ensemble du secteur des transports. Les compagnies d’hélicoptères, qui ont pris le relais pendant la paralysie de Sunrise, verront leur marché se réduire aux « groupes qui ont des moyens financiers et qui ne voudraient pas prendre la ligne dans un aéroport ».
Pour le transport maritime, relativement épargné par la crise sécuritaire malgré quelques cas de kidnapping, aucun soutien spécifique n’est prévu. Quant au transport routier, « une bonne partie du secteur est informelle, mal organisée et difficile à supporter à travers des mécanismes classiques », selon les autorités.
Cette différence de traitement révèle les limites de l’intervention publique dans un pays où l’économie informelle domine largement.
Un symbole de résilience ou de favoritisme ?
Pour Yves Ducarmel François, directeur de l’Autorité aéroportuaire nationale, cette reprise « symbolise la résilience, la détermination et l’espoir d’un pays qui cherche encore et toujours sa voie ». Une lecture optimiste qui contraste avec les interrogations sur l’équité de cette mesure.
Car au-delà des considérations techniques, cette intervention pose des questions de fond sur l’allocation des ressources publiques. Dans un pays où les hôpitaux manquent d’équipements et les écoles de matériel pédagogique, consacrer 11 millions de dollars à garantir une compagnie aérienne peut sembler discutable.
Entre nécessité et questionnements
La reprise des vols domestiques répond indéniablement à un besoin urgent de connecter les régions isolées. Pour les familles séparées, les malades devant se rendre à Port-au-Prince ou les entrepreneurs des régions, cette nouvelle est un soulagement.
Mais la méthode choisie soulève des interrogations légitimes sur la gouvernance économique. Comment justifier ce traitement préférentiel ? Quels mécanismes de contrôle accompagneront cette garantie publique ? Ces questions méritent des réponses transparentes.
L’accord avec Sunrise Airways illustre parfaitement les dilemmes de l’intervention publique en temps de crise. Entre pragmatisme économique et équité sociale, entre urgence sécuritaire et rigueur budgétaire, le gouvernement haïtien navigue en eaux troubles. Cette garantie de 11 millions de dollars permettra-t-elle vraiment de reconnecter Haïti ? Ou ne fait-elle que repousser les vraies solutions à nos problèmes de transport ? Seul l’avenir nous le dira, mais les Haïtiens ont le droit d’exiger des comptes sur l’utilisation de leurs deniers publics.