Le président du Conseil présidentiel de transition (CPT) a vivement critiqué Jean Michel Moïse, pointant du doigt des « dysfonctionnements » qui paralysent l’utilisation des fonds alloués à la sécurité. Seulement 13,7 % du budget de guerre a été décaissé, révélant une bureaucratie défaillante en pleine crise sécuritaire.
Fritz Alphonse Jean n’y est pas allé par quatre chemins. Lors d’une interview accordée vendredi 20 juin à un pool de journalistes, le président du Conseil présidentiel de transition (CPT) a ouvertement dénoncé les « dysfonctionnements » qui gangrènent l’administration publique haïtienne, en pointant notamment du doigt le ministre de la Défense, Jean Michel Moïse.
Le constat est accablant : seulement 13,7 % des ressources allouées au budget de guerre ont été décaissées. Un chiffre qui fait froid dans le dos quand on sait que le pays traverse l’une des crises sécuritaires les plus graves de son histoire, avec des milliers de déplacés internes et une violence endémique qui paralyse la vie quotidienne des Haïtiens.
Un exemple concret de dysfonctionnement bureaucratique
Pour illustrer l’ampleur du problème, Fritz Alphonse Jean a donné un exemple précis qui révèle toute l’absurdité de la situation. « Nous avons pris un décret pour faire de l’armée un ordonnateur secondaire. Jusqu’à présent, le ministre de la Défense n’a jamais envoyé le spécimen de signature du chef de l’armée au ministère de l’Économie et des Finances », a-t-il expliqué, visiblement exaspéré.
Cette négligence administrative, qui peut paraître anodine, bloque en réalité tout le processus de décaissement des fonds destinés à renforcer la sécurité du pays. Un détail bureaucratique qui a des conséquences dramatiques sur le terrain.
Une bureaucratie paralysante en temps de crise
Le président du CPT a également dénoncé la lourdeur des procédures administratives qui ralentissent considérablement l’action gouvernementale. Pour engager des dépenses importantes, les dossiers doivent passer par la Commission nationale des marchés publics (CNMP), la Cour des comptes, le ministère de la Planification et de la Coopération externe, puis le ministère de l’Économie et des Finances.
« C’est comme si à la Villa d’accueil et au MEF, il n’y a pas une table capable d’accueillir douze personnes pour analyser les dossiers et prendre des décisions », a ironisé Fritz Alphonse Jean, déplorant cette lenteur administrative qui contraste cruellement avec l’urgence de la situation.
L’ironie amère d’une administration qui prend son temps
Dans une formule particulièrement cinglante, le président du CPT a comparé Haïti à la Suisse ou à la Suède : « C’est comme si Haïti est comme la Suisse, la Suède, que l’on a tout le temps qu’il faut alors que nous avons des milliers de déplacés, beaucoup de femmes et hommes violés. »
Cette comparaison met en lumière le décalage absurde entre la réalité dramatique du terrain – où les gangs sèment la terreur et où les familles fuient leurs foyers – et une administration qui semble fonctionner comme si le pays était en paix.
L’hémorragie des compétences, un mal profond
Fritz Alphonse Jean a également pointé du doigt un autre fléau qui mine l’efficacité de l’État haïtien : l’exode des cadres compétents. Avec les programmes d’immigration comme le « Programme Biden » qui offrent des opportunités de migration légale vers les États-Unis, de nombreux fonctionnaires qualifiés ont quitté le pays.
« Il y a une atrophie de certaines institutions publiques. Dans beaucoup de cas, des gens nouvellement nommés ne connaissent pas la fonction publique », a-t-il constaté. Un phénomène qui rappelle l’expérience de nombreuses familles haïtiennes, tant en Haïti que dans la diaspora, qui ont vu leurs proches les plus qualifiés partir à l’étranger en quête de meilleures opportunités.
L’urgence d’une réforme administrative
Ces révélations du président du CPT soulèvent une question cruciale : comment l’État haïtien peut-il espérer répondre efficacement à la crise sécuritaire actuelle si ses propres rouages administratifs sont grippés ? Pour les Haïtiens qui vivent au quotidien les conséquences de cette insécurité, ces dysfonctionnements ne sont pas qu’une affaire de politique : ils représentent la différence entre la vie et la mort, entre l’espoir et le désespoir. La balle est désormais dans le camp du gouvernement pour prouver qu’il peut transformer ces critiques en actions concrètes.