Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a réussi son pari diplomatique. Dix jours après sa rencontre stratégique avec le sénateur Raphael Warnock, neuf sénateurs américains interpellent officiellement l’administration Trump sur l’incohérence de sa politique haïtienne. Le sort de dizaines de milliers de familles haïtiennes bénéficiaires du TPS est désormais au cœur d’un débat politique majeur à Washington.

Une diplomatie qui porte ses fruits

Quand Alix Didier Fils-Aimé a atterri à Washington le mois dernier, l’urgence était palpable. Le programme de protection temporaire (TPS) qui protège près de 200 000 Haïtiens aux États-Unis devait prendre fin en août 2025. Pour des milliers de familles haïtiennes établies de Miami à New York, de Boston à Chicago, c’était l’angoisse : comment retourner dans un pays où les gangs contrôlent 60% de Port-au-Prince ?

Le chef du gouvernement haïtien ne s’est pas contenté de visites de courtoisie. Son agenda était précis : Maison-Blanche, Congrès, Sénat, OEA. Mais c’est sa rencontre du 15 juillet avec le sénateur démocrate Raphael Warnock, lui-même fils d’immigrés, qui a tout changé.

Le plaidoyer qui a touché juste

Face au sénateur de Géorgie, Fils-Aimé a dressé un tableau sans fard de la réalité haïtienne. Gang 400 Mawozo, G9, kidnappings quotidiens, écoles fermées, hôpitaux paralysés… Comment justifier le renvoi de compatriotes vers cette poudrière ?

« Des milliers d’Haïtiens contribuent à l’économie américaine, travaillent dans les hôpitaux, les écoles, les entreprises », a-t-il argumenté. « Les renvoyer vers Port-au-Prince aujourd’hui, c’est les condamner. »

Le message a porté. Raphael Warnock, sensible aux questions migratoires, a immédiatement saisi l’incohérence de la position américaine.

Neuf sénateurs montent au créneau

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Dix jours plus tard, une lettre officielle signée par neuf sénateurs influents – Edward Markey, Raphael Warnock, Elizabeth Warren, Bernie Sanders et cinq autres – atterrissait sur le bureau du secrétaire d’État Marco Rubio et de la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem.

Le message est direct et embarrassant pour l’administration : « Comment peut-on considérer Haïti assez sûr pour y renvoyer des civils, tout en autorisant des compagnies militaires privées à mener des opérations armées à Port-au-Prince ? »

La contradiction est flagrante et les sénateurs exigent des réponses avant le 15 août.

L’écho dans la diaspora

Le sénateur Edward Markey a amplifié le message sur les réseaux sociaux avec une déclaration qui a fait le tour des communautés haïtiennes : « On ne peut pas expulser des gens vers une zone de guerre. »

À Little Haiti (Miami), dans les quartiers haïtiens de Brooklyn ou de Boston, le soulagement se mélange à l’espoir. Marie-Claire Joseph, infirmière à Boston depuis dix ans grâce au TPS, témoigne : « Enfin, quelqu’un dit tout haut ce qu’on vit. Comment retourner avec mes enfants dans un pays que j’ai fui à cause de l’insécurité ? »

Au-delà du TPS : une stratégie globale

La mission de Fils-Aimé ne s’est pas limitée au TPS. Il a également plaidé pour le renouvellement de la loi HOPE/HELP, vitale pour l’industrie textile haïtienne qui emploie encore 30 000 personnes malgré la crise. Sans ce programme commercial préférentiel, c’est un pan entier de l’économie haïtienne qui s’effondrerait.

Le Premier ministre a aussi insisté sur l’urgence de renforcer la Police nationale d’Haïti (PNH) et d’accélérer le déploiement de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS), menée par le Kenya.

L’avenir en suspens

Cette mobilisation sénatoriale marque un tournant, mais les défis restent immenses. L’administration Trump, moins favorable aux programmes d’immigration humanitaire que ses prédécesseurs, tiendra-t-elle compte de ces pressions ?

Pour les familles haïtiennes concernées, chaque jour compte. En août, si rien ne change, des milliers de compatriotes pourraient être contraints de retourner dans un pays qu’ils ont fui pour sauver leur vie.

Le pari diplomatique de Fils-Aimé a réussi à replacer Haïti sur l’agenda politique américain. Reste à voir si cette fenêtre d’opportunité se transformera en véritable bouée de sauvetage pour notre diaspora. Car au-delà des débats politiques, ce sont des destins humains qui se jouent, entre l’espoir d’une vie digne et la peur d’un retour forcé vers l’inconnu.

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