Neuf sénateurs démocrates américains montent au créneau contre le contrat signé entre le gouvernement haïtien de transition et une société militaire privée dirigée par Erik Prince, fondateur de Blackwater. Dans une lettre adressée aux plus hauts responsables de l’administration Trump, ils dénoncent de possibles violations de la loi américaine et s’inquiètent des conséquences pour la mission internationale en Haïti.

La diplomatie américaine se trouve face à un dilemme haïtien. Moins d’une semaine après le retour du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé de sa mission à Washington, voilà que le Congrès américain met les pieds dans le plat. Le 24 juillet dernier, neuf sénateurs démocrates ont envoyé une lettre cinglante au secrétaire d’État Marco Rubio et à la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem.

Leur préoccupation ? Un contrat controversé que le gouvernement haïtien aurait signé avec une société militaire privée américaine pour lutter contre les gangs qui terrorisent Port-au-Prince et ses environs.

Erik Prince de retour : le spectre de Blackwater plane sur Haïti

Le nom d’Erik Prince n’est pas inconnu dans les couloirs du pouvoir international. Fondateur de Blackwater Worldwide, cette société militaire privée a défrayé la chronique en 2007 après le massacre de 17 civils irakiens, dont des enfants, sur la place Nisour à Bagdad. Un épisode sanglant qui reste gravé dans les mémoires comme l’exemple des dérives possibles des entreprises militaires privées.

Aujourd’hui, selon le New York Times cité par les sénateurs, cette même figure controversée dirigerait l’entreprise qui fournirait au gouvernement haïtien « des drones armés, des armes et environ 150 mercenaires américains » pour mener des opérations contre les gangs de Port-au-Prince.

Pour les sénateurs signataires, cette situation soulève « des questions urgentes concernant le respect des lois américaines sur l’exportation d’armes » et le « risque de complicité des États-Unis dans des violations flagrantes des droits humains ».

Une mission qui fait de l’ombre à l’effort international

Ce qui inquiète particulièrement Washington, c’est l’impact potentiel de cette initiative privée sur la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) sanctionnée par l’ONU. Cette mission, soutenue par les États-Unis et dirigée par le Kenya, vise à stabiliser Haïti dans un « cadre multilatéral transparent et responsable ».

L’arrivée d’une société militaire privée américaine risque de « compromettre la légitimité et l’efficacité » de cette mission internationale, estiment les sénateurs. Une préoccupation légitime quand on sait les difficultés déjà rencontrées par la MSS pour déployer ses effectifs et obtenir des résultats tangibles sur le terrain.

La loi Leahy en ligne de mire

Les sénateurs pointent également du doigt de possibles violations de la loi Leahy, qui interdit aux États-Unis de fournir une aide sécuritaire à des unités des forces de sécurité étrangères impliquées dans des violations des droits humains.

La Police nationale haïtienne (PNH), qui bénéficie de l’aide américaine, a « un passé bien documenté en matière de violations et d’abus des droits humains », rappellent-ils. Si des unités de la PNH opèrent en coordination avec la société militaire privée américaine, cela pourrait exposer l’aide américaine à des « violations indirectes de la loi Leahy ».

Un ultimatum diplomatique

Les neuf sénateurs ne se contentent pas de pointer les problèmes. Ils donnent un ultimatum au 15 août 2025 aux responsables de l’administration Trump pour obtenir des réponses précises sur six questions cruciales, notamment :

  • L’existence de licences d’exportation accordées à ces sociétés militaires privées
  • L’évaluation des risques pour les droits humains et la paix internationale
  • La compatibilité avec la mission onusienne
  • Le contrôle des unités de la PNH selon la loi Leahy

Une Haïti entre urgence humanitaire et solutions controversées

Cette polémique intervient alors qu’Haïti traverse l’une des crises les plus graves de son histoire contemporaine. Selon l’ONU, plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées, dont plus de la moitié sont des enfants. Près de la moitié de la population fait face à une insécurité alimentaire critique, et 42 % des établissements de santé de Port-au-Prince ne fonctionnent plus.

Face à cette urgence humanitaire, les responsables onusiens alertent que la capitale pourrait « tomber entièrement aux mains de groupes armés criminels sans une intervention urgente ».

Cette controverse révèle les contradictions de la politique américaine envers Haïti : soutenir la stabilisation tout en expulsant les Haïtiens, encourager les solutions multilatérales tout en laissant opérer des acteurs privés controversés. Pour les Haïtiens, la question reste entière : qui sauvera réellement Haïti de cette spirale de violence ? La communauté internationale, les mercenaires privés, ou une solution véritablement haïtienne ?

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