La chute de Montrouis ce week-end marque une nouvelle étape dramatique dans la prise de contrôle du bas Artibonite par les gangs armés. Saint-Marc, dernière commune encore libre, se retrouve désormais encerclée et menacée d’une attaque imminente.

L’Artibonite suffoque. Après des mois d’offensives orchestrées, la coalition Viv Ansanm vient de franchir un nouveau cap dans sa stratégie de conquête territoriale. Ce week-end, Montrouis, autrefois surnommée la « capitale touristique d’Haïti », est tombée aux mains des gangs 400 Mawozo et Taliban, sans qu’aucune résistance ne soit opposée.

Cette prise de contrôle, réalisée par voie maritime avec des hommes arrivés en chaloupes, n’est pas un simple épisode de violence. C’est un coup stratégique majeur qui resserre l’étau autour de Saint-Marc, la seule commune du bas Artibonite encore entièrement hors du contrôle des groupes armés.

Une prise de contrôle méthodique et sans résistance

Le vendredi 17 octobre, les hommes armés ont débarqué à Montrouis et installé immédiatement leur autorité. Un chef a été désigné, des groupes armés ont été déployés dans toute la commune, notamment à Délugé. Selon Bertide Horace, porte-parole de la commission Dialogue et Conscientisation, « ils sont présents dans toutes les localités de la commune. Ce sont eux qui contrôlent Montrouis. »

Le terrain avait été préparé depuis le 18 septembre, lorsque le commissariat de Montrouis avait été incendié par les membres de Viv Ansanm, neutralisant toute présence policière dans la zone. Depuis, la commune vivait dans l’attente d’une prise de contrôle totale qui s’est finalement concrétisée ce week-end.

Pour l’instant, aucune violence majeure n’a été signalée contre la population depuis l’installation des gangs. Mais cette apparente tranquillité ne trompe personne : c’est la stratégie habituelle des groupes armés pour asseoir leur domination avant d’imposer leurs exigences.

Saint-Marc : la dernière ville libre, mais pour combien de temps ?

La nouvelle de la chute de Montrouis a provoqué la panique à Saint-Marc. Dès la soirée du 17 octobre, des habitants ont commencé à fuir leurs maisons, craignant une attaque imminente. Et leurs peurs ne sont pas infondées.

« Certaines rumeurs laissent croire que l’installation de 400 Mawozo et Taliban à Montrouis a été faite en coordination avec le gang Gran Grif, qui contrôle Liancourt », explique l’agronome Wonder Dorsainvil. « Cela leur permettrait d’encercler Saint-Marc et de l’attaquer par plusieurs fronts. »

La géographie joue contre Saint-Marc. Avec Montrouis au nord et Liancourt au sud — cette dernière étant tombée début octobre —, la ville se retrouve prise en tenaille. Une attaque coordonnée depuis plusieurs directions pourrait être dévastatrice.

Un département sous emprise criminelle

Les chiffres donnent le vertige : 90% du bas Artibonite est désormais sous contrôle des gangs armés. Commune après commune, le territoire a été conquis méthodiquement.

La Chapelle est dominée par les Taliban depuis juin 2025, après l’incendie du sous-commissariat le 22 juin qui a forcé les policiers à fuir.

Petite-Rivière de l’Artibonite est le bastion du redoutable gang Gran Grif. Seul le commissariat de Pat Chwal résiste encore, encerclé par les hommes de Savien.

Marchand-Dessalines a vu son commissariat incendié dans la nuit du 16 au 17 juillet par le gang Kokorat San Ras. Malgré le retour de quelques policiers, la deuxième section communale reste aux mains du gang 5 Étoile.

L’Estère ne respire que dans son centre-ville, où se limite la présence policière. Les gangs occupent Lacroix-Périsse et continuent leurs attaques meurtrières. Les 16 et 17 octobre encore, deux personnes ont été tuées et des plantations détruites.

Verrettes ne tient plus qu’à un fil, prise entre les menaces venues de La Chapelle et de Petite-Rivière. Le 18 octobre, les Taliban ont attaqué la localité de Janvier, incendiant des maisons et ravageant des plantations.

L’hôpital Albert Schweitzer dans la ligne de mire

Face aux menaces pesant sur l’hôpital Albert Schweitzer (HAS) à Deschapelles, institution médicale vitale pour toute la région, les autorités ont déployé des policiers par hélicoptère le 17 octobre. Mais cette intervention s’est révélée insuffisante.

« Ils ne protègent que l’hôpital. Ils restent à l’intérieur », déplore Bertide Horace. « La population, qui ne se sentait pas en sécurité, a quitté ses maisons. »

Les forces de l’ordre semblent dépassées. « Lorsqu’ils lancent une attaque, les policiers haïtiens ou kényans ne réagissent plus, après avoir subi de lourdes pertes », constate amèrement Mme Horace.

Un bilan accablant documenté

Dans un rapport publié le 9 octobre 2025, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a recensé 24 attaques armées dans 25 localités réparties dans huit communes du département entre janvier et septembre. Les gangs Kokorat San Ras, Gran Grif et Taliban-Mawozo contrôlent désormais des axes stratégiques et imposent leur loi sur la circulation des personnes, des biens et des services.

L’Artibonite, grenier d’Haïti et moteur économique du pays, est en train de succomber sous les coups d’une violence organisée et méthodique. Les conséquences dépassent largement le cadre sécuritaire : c’est toute l’économie agricole et la sécurité alimentaire du pays qui sont menacées.

Un appel au secours national

Pour les Haïtiens de l’Artibonite, chaque jour qui passe ressemble à un sursis. Les habitants fuient leurs maisons, abandonnent leurs terres, laissent derrière eux des années de labeur. Les plantations sont détruites, les routes coupées, l’activité économique paralysée.

La chute imminente de Saint-Marc marquerait un tournant tragique : ce serait la confirmation que le bas Artibonite tout entier est passé sous contrôle criminel. Une situation qui exige une réponse d’urgence des autorités nationales et de la communauté internationale, avant qu’il ne soit trop tard pour sauver ce qui peut encore l’être.

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