Après Port-au-Prince, c’est au tour du Cap, du Centre et du Sud de bénéficier du soutien de la Banque centrale. Avec 300 entreprises ciblées et une priorité donnée aux femmes, le programme Booster PME3 veut transformer le paysage entrepreneurial haïtien.
La Banque de la République d’Haïti (BRH) ne lâche pas prise. Après avoir accompagné 95 entreprises et permis la légalisation de 85 d’entre elles à travers les programmes Booster PME1 et PME2, la Banque centrale lance désormais la troisième phase de cette initiative : Booster PME3. Présenté les 3 et 4 octobre 2025 lors du forum sur la digitalisation des paiements, ce nouveau programme affiche une ambition claire : sortir de la capitale et miser sur le leadership féminin pour dynamiser l’économie nationale.
Trois régions, 300 entreprises, 60 % de femmes
Exit Port-au-Prince comme épicentre unique. Cette fois, la BRH décentralise son action. Le Cap-Haïtien, le Centre et le Sud accueilleront chacun 100 entreprises bénéficiaires. Une décision stratégique qui répond aux critiques sur la concentration des ressources dans la zone métropolitaine et qui offre enfin une chance aux entrepreneurs des régions de développer leurs projets.
Mais ce qui frappe le plus dans ce programme de 18 mois, c’est la place accordée aux femmes : 60 % des entreprises sélectionnées seront dirigées par des entrepreneures. Un signal fort dans un pays où le leadership féminin en affaires reste encore sous-estimé, malgré le rôle économique crucial des femmes dans le commerce, l’agriculture et l’artisanat.
Les secteurs ciblés reflètent les forces vives de l’économie haïtienne : agriculture, agro-industrie, artisanat, technologie, commerce, e-commerce et tourisme. Des filières qui, malgré les crises successives, continuent de faire vivre des milliers de familles, que ce soit ici ou à travers les envois de fonds de la diaspora.
89 % des entreprises haïtiennes dans l’informel : un défi de taille
Les chiffres donnés par Riphard Serent, cadre de la BRH, font froid dans le dos. Près de 9 entreprises haïtiennes sur 10 ne sont pas enregistrées légalement. Seul 1 % utilise un ordinateur pour gérer leurs activités. Quant à la comptabilité, 7 % tiennent leurs comptes sur un livret papier, tandis que la majorité n’utilise… rien du tout.
Ces réalités montrent l’ampleur du travail à accomplir. Sans formalisation, pas d’accès au crédit bancaire. Sans outils de gestion, difficile de planifier la croissance. Et sans statut légal, impossible de participer pleinement à l’économie moderne. C’est précisément ce cercle vicieux que Booster PME3 entend briser, en accompagnant les entrepreneurs vers la digitalisation, la formalisation et une meilleure gestion financière.
Des témoignages qui donnent espoir
L’histoire de la responsable de Collection 1804, entreprise spécialisée dans la confection et la formation sur le cuir, illustre parfaitement l’impact de ces programmes. Malgré l’invasion de ses ateliers par des gangs, elle a pu maintenir son entreprise à flot grâce au soutien reçu lors des précédents Booster PME. Aujourd’hui, elle envisage même de se tourner vers la production de cuir végétal, preuve que l’entrepreneuriat haïtien sait rebondir quand on lui en donne les moyens.
Ces témoignages rappellent aussi à la diaspora haïtienne que, malgré l’insécurité et les défis, des femmes et des hommes continuent de se battre pour bâtir des entreprises viables et créer de l’emploi au pays.
Une vision qui dépasse la politique monétaire
Le gouverneur Ronald Gabriel a été clair lors de la cérémonie de présentation : la politique monétaire seule ne suffit pas. « Si nous n’adressons pas les déséquilibres sectoriels qui se trouvent dans des domaines hors de la responsabilité de la Banque centrale, nous ne pourrons pas assurer la stabilité macroéconomique », a-t-il déclaré.
Pour lui, l’exclusion, la pauvreté et la mauvaise répartition des ressources alimentent la crise actuelle. En investissant dans l’éducation entrepreneuriale, la formation et l’inclusion financière, la BRH cherche donc à agir en amont, à créer un écosystème où les opportunités ne sont plus réservées à une élite concentrée dans la capitale.
Et maintenant ?
Booster PME3 représente une bouffée d’oxygène pour l’entrepreneuriat haïtien. Mais comme l’ont souligné plusieurs participants lors du forum, le suivi sera déterminant. Les programmes précédents ont donné des résultats encourageants, mais sans accompagnement durable, l’impact risque de s’essouffler.
La question reste posée : la BRH parviendra-t-elle à assurer un suivi rigoureux sur 18 mois dans trois régions du pays, dans un contexte sécuritaire difficile ? Et surtout, ces 300 entreprises pourront-elles devenir des modèles de réussite capables d’inspirer des milliers d’autres entrepreneurs à sortir de l’informel ?
Pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs qui rêvent encore d’un pays où l’entrepreneuriat rime avec opportunité et dignité, Booster PME3 est un pari qu’on a envie de voir réussir.
