Le président salvadorien Nayib Bukele pourra désormais se représenter indéfiniment après l’adoption d’une réforme constitutionnelle express par un Parlement acquis à sa cause. Une dérive autoritaire qui rappelle les dérives vénézuéliennes et questionne l’avenir démocratique de la région.

Dans la nuit de jeudi, sous les feux d’artifice de San Salvador, le Salvador a franchi un cap inquiétant. Le Parlement, dominé à 95% par les partisans du président Nayib Bukele, a adopté une réforme constitutionnelle majeure : l’abolition pure et simple de la limite du nombre de mandats présidentiels. 57 députés pour, 3 contre. Le message est clair : Bukele peut désormais gouverner à vie.

Une procédure éclair qui soulève des questions

La réforme n’a pas traîné. Présentée mercredi comme un projet « historique » par la députée pro-Bukele Ana Figueroa, elle a été adoptée et ratifiée en moins de 48 heures, selon une procédure accélérée. Les trois députés d’opposition n’ont eu d’autre choix que d’assister, impuissants, à ce qu’ils qualifient de « mort de la démocratie ».

« Ce sont des cyniques », a lancé la députée d’opposition Marcela Villatoro, dénonçant le timing de cette réforme présentée alors que le pays entame ses vacances d’été. Une tactique qui n’est pas sans rappeler certaines manœuvres politiques que connaissent bien les Haïtiens, habitués aux coups de force institutionnels.

La réforme va plus loin : elle abolit également le second tour de scrutin et allonge le mandat présidentiel de cinq à six ans. Paradoxalement, le mandat actuel de Bukele se terminera plus tôt que prévu, en 2027 au lieu de 2029, lui permettant de se représenter « sans réserves ».

Bukele, le « président de fer » d’Amérique centrale

À 44 ans, Nayib Bukele jouit d’une popularité écrasante au Salvador. Sa recette ? Une guerre impitoyable contre les « maras », ces gangs qui terrorisaient le pays. Sous état d’exception depuis trois ans, environ 87 000 personnes ont été arrêtées sans mandat. Le résultat est spectaculaire : la violence a chuté à un niveau historiquement bas dans ce qui était l’un des pays les plus dangereux au monde.

Cette transformation rappelle les attentes de nombreux Haïtiens face à l’insécurité chronique qui gangrène leur pays. Beaucoup rêvent d’un dirigeant capable d’éradiquer les gangs comme l’a fait Bukele. Mais à quel prix ?

Le revers de la médaille : répression et dérives autoritaires

Car derrière les chiffres de la sécurité se cache une réalité plus sombre. Selon les ONG, des milliers d’innocents croupissent en prison, et environ 430 personnes sont mortes en détention. La répression s’étend aux journalistes, activistes et défenseurs des droits humains, contraints à l’exil par dizaines.

Bukele est également devenu un allié clé de Donald Trump dans sa politique anti-immigration, accueillant dans sa méga-prison du Cecot 252 Vénézuéliens expulsés par l’administration américaine. Une collaboration qui pourrait interpeller la diaspora haïtienne aux États-Unis, elle aussi concernée par les politiques migratoires américaines.

« La même voie que le Venezuela »

Pour Human Rights Watch, le parallèle est évident : « Le parti de Bukele suit la même voie que le Venezuela. Cela commence par un leader qui utilise sa popularité pour concentrer le pouvoir, et cela se termine par une dictature », alerte Juanita Goebertus, directrice de l’organisation.

Bukele assume : « Je me fiche d’être taxé de dictateur. Je préfère être traité de dictateur que de voir des Salvadoriens se faire tuer dans les rues », avait-il déclaré en juin.

Une leçon pour la Caraïbe ?

Cette dérive salvadorienne résonne particulièrement dans la Caraïbe, où plusieurs pays font face à des crises sécuritaires majeures. Pour les Haïtiens, confrontés à l’effondrement de leur État et à la violence des gangs, l’exemple de Bukele peut sembler tentant. Mais l’histoire nous enseigne que sacrifier la démocratie sur l’autel de la sécurité mène rarement vers la liberté.

Le Salvador vient de franchir une ligne rouge. Reste à savoir si d’autres pays de la région suivront cet exemple, ou si la communauté internationale saura réagir avant qu’il ne soit trop tard.

Partager.

Les commentaires sont fermés.

Exit mobile version