Un commando armé a pris d’assaut l’orphelinat Sainte Hélène à Kenscoff ce dimanche matin, emportant avec eux la directrice irlandaise et huit autres personnes, dont un bambin. Cette nouvelle tragédie illustre l’emprise croissante des gangs sur cette commune autrefois paisible.
L’aube du dimanche 3 août restera marquée dans les mémoires à Kenscoff. Vers 3h30 du matin, dans la localité de « Tête Bois-Pin », des bandits armés ont orchestré un enlèvement minutieux à l’orphelinat Sainte Hélène de l’organisation « Nos petits frères et sœurs ». Neuf vies basculent : la responsable irlandaise Gena Heraty, un enfant de seulement 3 ans, et sept autres employés de cette institution qui abrite 270 enfants.
Une opération silencieuse et calculée
« Il n’y avait pas d’attaque à proprement parler. Aucun coup de feu n’a été entendu », rapporte le maire de Kenscoff, Masillon Jean. Les criminels ont fait preuve d’une organisation redoutable : ils ont percé un mur pour accéder directement au bâtiment où résidait la directrice, évitant ainsi les zones où dormaient les enfants.
Cette méthode rappelle tristement les enlèvements ciblés qui se multiplient en Haïti, où les gangs perfectionnent leurs techniques pour éviter les confrontations directes tout en maximisant leur impact psychologique. Pour les familles haïtiennes, qu’elles vivent au pays ou à l’étranger, ce type d’opération évoque les peurs quotidiennes qui hantent leurs proches restés au pays.
Un orphelinat au service des plus vulnérables
L’institution visée n’est pas choisie au hasard. L’orphelinat Sainte Hélène accueille environ 270 enfants, dont une cinquantaine à besoins spéciaux. Pour de nombreuses familles haïtiennes dans la diaspora, ces organisations représentent un espoir : celui de contribuer au bien-être des enfants abandonnés du pays. L’attaque contre cette structure humanitaire résonne comme un coup porté à l’espoir lui-même.
Gena Heraty, la responsable irlandaise enlevée, incarne ces étrangers qui ont choisi de consacrer leur vie aux enfants haïtiens les plus démunis. Son enlèvement envoie un message glaçant à la communauté internationale : même l’aide humanitaire n’est plus à l’abri.
Silence radio des ravisseurs
Fait troublant : plusieurs heures après l’enlèvement, aucune demande de rançon n’a été formulée. « Ils ont autorisé Gena Heraty à communiquer avec nous ce matin par téléphone pour confirmer l’enlèvement et nous donner de ses nouvelles », confie une source proche de l’organisation au Nouvelliste.
Cette communication contrôlée est devenue une tactique classique des gangs haïtiens, qui maintiennent leurs victimes en vie pour négocier tout en psychologiquement torturer les familles et les proches. Pour les Haïtiens de la diaspora qui suivent ces événements depuis l’étranger, chaque enlèvement ravive l’angoisse de recevoir un jour un appel similaire concernant un proche.
Kenscoff sous l’emprise de « Viv ansanm »
Cette tragédie s’inscrit dans une réalité plus large : depuis le 27 janvier 2025, la commune de Kenscoff subit les assauts répétés de la coalition criminelle « Viv ansanm ». De nombreuses localités ont été vidées de leurs habitants, contraints à l’exil dans leur propre pays.
Kenscoff, cette commune montagneuse qui était autrefois un refuge pour les classes moyennes fuyant la chaleur de Port-au-Prince, est désormais devenue un territoire disputé. Les forces de l’ordre, malgré leurs efforts, peinent à reprendre le contrôle de cette zone stratégique.
L’innocence en otage
L’image d’un enfant de 3 ans aux mains de criminels armés symbolise l’effondrement moral du pays. Pour les parents haïtiens, où qu’ils soient dans le monde, cette réalité est insoutenable. Comment expliquer à leurs propres enfants que dans leur pays d’origine, l’enfance elle-même n’est plus sacrée ?
Cette situation pose une question cruciale aux autorités haïtiennes et à la communauté internationale : jusqu’où laissera-t-on les gangs étendre leur emprise avant d’agir de manière décisive ? L’enlèvement de Kenscoff n’est pas qu’un fait divers de plus, c’est un cri d’alarme qui devrait résonner bien au-delà des frontières d’Haïti.