Formation en cybersécurité, paiements numériques dans les marchés, fonds pour l’intelligence artificielle : la Banque centrale déploie un plan ambitieux pour moderniser l’économie haïtienne. Objectif : réduire la dépendance au cash qui paralyse encore 99 % des petites entreprises.
Les 3 et 4 octobre 2025, le Karibe Convention Center a accueilli un forum qui pourrait bien marquer un tournant dans l’économie haïtienne. Sous le thème « Soutenir des synergies d’action et de partenariat pour stimuler l’innovation, l’équité de genre et l’accès au financement pour des opportunités durables », la Banque de la République d’Haïti (BRH) a présenté sa vision pour sortir le pays de l’ère du cash et le propulser dans l’économie numérique.
Après des années de crise économique et de contraction, le gouverneur Ronald Gabriel affiche une ambition claire : faire du numérique le moteur de la transformation du système financier haïtien. Et cette fois, la BRH ne se contente pas de discours. Elle met sur la table des projets concrets, des partenariats internationaux et un calendrier d’action.
Trois projets pour changer la donne
Le forum a mis en lumière trois initiatives majeures qui devraient changer la façon dont les Haïtiens font des affaires.
D’abord, un diagnostic complet de l’écosystème Fintech en Haïti, réalisé avec l’appui de la Banque mondiale. Ce rapport permettra d’identifier les obstacles et les opportunités pour le développement des technologies financières dans le pays. Un outil indispensable pour comprendre pourquoi, en 2025, Haïti reste si loin derrière ses voisins caribéens en matière de paiements numériques.
Ensuite, un projet pilote de digitalisation des paiements dans le secteur informel. Les marchands de Pétion-Ville, des Cayes et du Cap-Haïtien seront les premiers bénéficiaires. Imaginez pouvoir payer vos achats au marché avec votre téléphone, sans avoir à transporter des liasses de gourdes dans un contexte d’insécurité croissante. C’est cette réalité que la BRH veut créer.
Enfin, le lancement du programme Booster PME III, qui cible 300 entreprises dans trois régions du pays, avec une priorité donnée aux femmes entrepreneures. Un signal fort dans un pays où les femmes dominent le commerce informel mais restent largement exclues du système financier formel.
99 % des petites entreprises encore coincées dans le cash
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon l’enquête Finscope MPME citée par le gouverneur, 99 % des micro, petites et moyennes entreprises haïtiennes fonctionnent encore exclusivement au cash. Pas de cartes bancaires, pas de paiements mobiles, pas de traces numériques de leurs transactions.
Cette dépendance au cash a des conséquences dramatiques : risques de vol, difficultés à épargner, impossibilité d’accéder au crédit bancaire, exclusion totale de l’économie formelle. Et dans un pays où le secteur informel représente environ 35 % du PIB, cette situation freine toute l’économie nationale.
Pour les Haïtiens de la diaspora qui envoient de l’argent au pays, cette réalité est frustrante. Pourquoi est-il si compliqué de transférer des fonds directement sur le compte ou le portefeuille mobile d’un proche ? Pourquoi faut-il encore passer par des intermédiaires qui prennent des commissions élevées ? La digitalisation des paiements pourrait enfin apporter des réponses à ces questions.
Former les cerveaux de demain
Mais la BRH ne se limite pas aux paiements. Elle investit aussi massivement dans la formation. Depuis 18 mois, le programme TIC-Haïti-BRH, mené en partenariat avec plusieurs universités, forme des spécialistes en cybersécurité, gestion de projets informatiques, intelligence artificielle et analyse de données.
« L’objectif poursuivi est la création d’un bassin de capital humain pour construire notre société et notre capacité technologique », a expliqué le gouverneur. Une vision qui résonne particulièrement auprès des jeunes Haïtiens, qu’ils soient au pays ou dans la diaspora, nombreux à chercher des opportunités dans les métiers du numérique.
Un Fonds pour l’intelligence artificielle sera également créé pour soutenir la recherche et le développement de solutions technologiques innovantes dans la santé, l’éducation, l’agriculture et la finance. Une initiative qui pourrait attirer les talents de la diaspora et créer un écosystème tech capable de rivaliser avec ceux de Kingston ou Santo Domingo.
Une vision cohérente, mais des défis immenses
Ronald Gabriel insiste sur la cohérence de sa stratégie : formation, recherche et entrepreneuriat forment un tout. La BRH ne veut pas seulement moderniser les paiements, elle veut créer un écosystème complet où les jeunes sont formés, où les innovations sont financées et où les entrepreneurs ont accès aux outils numériques pour développer leurs activités.
Mais les défis restent immenses. Comment déployer des solutions numériques dans un pays où l’électricité et l’internet restent des luxes dans de nombreuses régions ? Comment convaincre des marchands habitués au cash depuis des décennies d’adopter des terminaux de paiement ? Et surtout, comment garantir la sécurité de ces transactions dans un contexte où la cybercriminalité augmente partout dans le monde ?
Le gouverneur mise sur la collaboration entre institutions publiques, secteur privé et partenaires internationaux. Un pari ambitieux, mais nécessaire.
Un message d’espoir ?
En clôturant le forum, Ronald Gabriel a voulu envoyer un message d’espoir aux jeunes, aux femmes et au secteur des affaires. Pour lui, la digitalisation des paiements n’est pas qu’une question technique, c’est un pas décisif vers une économie plus moderne, équitable et compétitive.
Les deux journées de réflexion ont permis de poser les jalons. Maintenant, place à l’action. Les projets pilotes dans les trois villes donneront-ils les résultats escomptés ? Les formations produiront-elles les experts dont Haïti a besoin ? Et surtout, cette vision parviendra-t-elle à transformer durablement un pays où l’économie informelle règne depuis si longtemps ?
Pour les millions d’Haïtiens qui rêvent d’une économie où payer ne rime plus avec danger, où épargner ne nécessite plus de cacher des billets sous le matelas, et où entreprendre ne signifie plus être exclu du système bancaire, la BRH vient de lancer un pari qu’on a tous intérêt à voir réussir.

