Écarté de la présidentielle bolivienne et visé par un mandat d’arrêt, l’ex-président indigène Evo Morales refuse de quitter la scène politique. Depuis son fief rural, il menace de mobiliser ses partisans si la droite remporte les élections de ce dimanche 17 août.

En Bolivie, un homme fait trembler le pouvoir établi, même depuis les coulisses. Evo Morales, 65 ans, premier président d’origine indigène de ce pays des hauts plateaux andins, refuse de tirer sa révérence. Pourtant, la justice le pourchasse et la Constitution lui barre la route vers un quatrième mandat présidentiel.

L’histoire d’Evo Morales rappelle celle de nombreux leaders populaires en Amérique latine et dans les Caraïbes : un ascension fulgurante portée par l’espoir du peuple, puis une chute brutale quand l’ivresse du pouvoir prend le dessus. Une trajectoire que connaissent bien les Haïtiens, habitués aux retournements politiques spectaculaires.

Un héritage en péril face à la montée de la droite

Dimanche prochain, les Boliviens choisiront entre deux figures de droite : le magnat Samuel Doria Medina et l’ancien président Jorge Quiroga. Ces deux hommes promettent de démanteler l’héritage socialiste de Morales et… de l’arrêter.

Car l’ancien « champion du peuple » est aujourd’hui recherché pour une affaire de traite de mineure, accusation qu’il conteste vigoureusement. Retranché dans son fief de Lauca Eñe, au centre du pays, il lance des menaces à peine voilées : « Nous n’allons pas légitimer cette élection truquée. Avec le peuple, nous mènerons le combat dans les rues. »

De héros à paria : l’histoire d’une déchéance

L’ironie est saisissante pour cet ancien producteur de coca devenu président. Entre 2006 et 2019, Evo Morales avait transformé la Bolivie. Sous sa présidence, la production intérieure du pays a triplé, la pauvreté a chuté de 60% à 37%, et les populations indigènes, longtemps marginalisées, ont enfin eu leur place dans la redistribution des richesses.

Un succès qui rappelle les promesses de changement que portent souvent les mouvements populaires dans la région caribéenne, où les inégalités sociales restent criantes.

Mais comme souvent en politique, l’hubris a eu raison de l’homme providentiel. En 2016, quand les Boliviens ont dit « non » à un référendum qui devait lui permettre de briguer un troisième mandat, Morales a choisi d’ignorer la volonté populaire. Sa candidature controversée de 2019, entachée d’accusations de fraude, a précipité sa chute.

Un « culte de la personnalité » qui divise

« Il est ivre de pouvoir », s’indigne Vania Salinas, fonctionnaire à La Paz. « Il a déjà eu son heure de gloire, il n’a plus rien à faire ici. » Un sentiment partagé par de nombreux Boliviens, lassés des querelles de leur ancien idole avec son successeur Luis Arce, conflicts qui ont paralysé le pays par des blocages routiers.

Pourtant, Morales conserve des soutiens indéfectibles dans les zones rurales et indigènes. « C’est une figure tellement importante qu’il aura toujours des partisans fidèles, quoi qu’il arrive. C’est un culte de la personnalité », analyse Pablo Calderón, professeur à la Northeastern University de Londres.

Quand l’économie s’effondre, la politique s’embrase

La Bolivie traverse aujourd’hui sa pire crise économique depuis des décennies. La manne gazière qui avait financé les programmes sociaux de Morales s’épuise, et le pays peine à trouver de nouvelles sources de croissance.

Cette situation économique désastreuse, couplée à l’instabilité politique chronique, n’est pas sans rappeler les défis auxquels font face de nombreux pays de la région, dont Haïti. Quand l’économie va mal, les tensions sociales explosent et les leaders populistes trouvent un terrain fertile pour leurs discours de rupture.

Le destin d’Evo Morales se joue ce dimanche. Ancien sauveur devenu fugitif, il illustre parfaitement les dangers du pouvoir personnel en Amérique latine. Sa menace de « descendre dans les rues » en cas de défaite de ses alliés fait craindre le pire pour la stabilité bolivienne. Une leçon de plus sur les dérives possibles quand un leader refuse d’accepter que son temps est révolu. Les Haïtiens, témoins de tant de crises politiques similaires, savent combien ces moments de bascule peuvent être dangereux pour l’avenir d’une nation.

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