Au cœur de la tourmente, ils osent encore rêver et créer. Samedi dernier à Delmas 33, des centaines de jeunes entrepreneurs ont transformé l’Expo Jeune en véritable laboratoire d’espoir. Entre artisanat, littérature et innovation, ils prouvent que l’avenir d’Haïti se construit avec ceux qui refusent de partir.
Ils auraient pu choisir la facilité. Plier bagage comme tant d’autres, chercher fortune ailleurs, loin des balles perdues et de l’instabilité économique. Mais non. Samedi 14 juin, au Palais municipal de Delmas 33, des centaines de jeunes Haïtiens ont choisi une autre voie : celle de l’engagement, de la créativité et de la résistance par l’entrepreneuriat.
La cinquième édition de l’Expo Jeune a offert un spectacle saisissant de contraste. D’un côté, un pays qui semble s’enfoncer dans la crise ; de l’autre, une jeunesse qui refuse de courber l’échine et mise tout sur l’avenir d’Haïti.
« Réussir ici, c’est encore plus noble »
César Sédric, fondateur de Dricky Craft, résume parfaitement l’état d’esprit de sa génération : « On nous a appris que réussir, c’est partir. Mais je crois que réussir ici, c’est encore plus noble. » Ses mots résonnent comme un défi lancé aux défaitistes et aux marchands de pessimisme.
Son entreprise, qui valorise l’artisanat local avec des produits fabriqués à la main, incarne cette philosophie du « made in Haiti » assumé. Pour lui, investir dans le pays n’est pas qu’une question de rentabilité, c’est avant tout « un acte de foi, de courage et d’amour pour le pays ».
Cette conviction, il la partage avec des dizaines d’autres exposants qui ont fait le pari de l’entrepreneuriat local. Parmi eux, Woodjini Sénatus, à seulement 17 ans, encourage déjà ses pairs à « oser » tout en gardant la tête froide : « On doit prendre des risques, mais les contrôler intelligemment. »
L’artisanat face au défi touristique
Brunette Dorismont, créatrice de l’atelier Brune Création, ne cache pas les réalités du terrain. Son secteur, l’artisanat, dépend largement du tourisme, une industrie aujourd’hui en berne. « C’est un vrai risque, surtout en ce moment où le pays n’attire plus beaucoup de visiteurs », reconnaît-elle avec lucidité.
Pourtant, elle persiste et signe : « Si on ne tente rien, on n’obtient rien. » Cette philosophie du « tout ou rien » anime de nombreux artisans haïtiens qui voient dans leur travail bien plus qu’un gagne-pain : un levier de développement local et une façon de préserver l’identité culturelle du pays.
Pour nos compatriotes de la diaspora qui connaissent bien la richesse de l’artisanat haïtien – des masques de carnaval aux sculptures sur bois en passant par les objets en métal recyclé – ces initiatives rappellent que le talent créatif haïtien n’a pas dit son dernier mot.
Quand la littérature inspire l’action
L’Expo Jeune 2025 ne s’est pas contentée de présenter des produits artisanaux. L’événement a aussi fait la part belle à la littérature avec des séances de dédicaces, notamment celle d’Emmanuel Louis-Jeune qui présentait son ouvrage « Une Entente Nationale pour la Justice Sociale en Haïti ».
« Là où il y a des gens, il y a toujours de l’espoir », martèle l’écrivain. « Investir en Haïti, c’est envoyer un signal fort, c’est dire qu’il y a encore des possibilités. » Ses mots font écho aux préoccupations de tous ceux qui, ici et à l’étranger, s’interrogent sur l’avenir du pays.
Pour lui, chaque livre vendu, chaque création locale achetée, chaque initiative entrepreneuriale représente « un acte de reconstruction sociale ». Une vision qui dépasse largement le simple aspect commercial pour embrasser une dimension citoyenne et patriotique.
Un festival de créativité malgré la morosité
Au-delà des chiffres d’affaires et des projets business, l’Expo Jeune a surtout été une bouffée d’air frais dans un contexte souvent étouffant. Sculptures, peintures, produits cosmétiques naturels, plats typiques, jeux interactifs… La diversité était au rendez-vous.
Les visiteurs ont pu découvrir l’étendue du talent haïtien, de la gastronomie à la technologie. Des artistes et groupes musicaux ont animé la journée, créant cette atmosphère conviviale et festive qui contraste si fortement avec la morosité ambiante.
Vanessa Jean Charles, Claudine Pierre et d’autres artisans confirmés ont également participé à cette transmission intergénérationnelle du savoir-faire, rappelant que l’entrepreneuriat en Haïti s’inscrit dans une continuité historique.
L’espoir a rendez-vous avec l’audace
En donnant la parole aux créateurs et en valorisant les produits locaux, l’Expo Jeune 2025 a envoyé un message fort : l’avenir d’Haïti ne se décrète pas dans les bureaux climatisés, il se construit dans les ateliers, les échoppes et les petites entreprises de ceux qui osent.
Ces jeunes entrepreneurs nous rappellent une vérité fondamentale : un pays ne meurt jamais tant qu’il y a des gens pour y croire et pour y investir leur énergie. Dans cette Haïti en quête de stabilité, leur engagement constitue plus qu’un espoir – c’est une promesse d’avenir.
Alors que tant de nos compatriotes cherchent des solutions à l’extérieur, ces jeunes nous prouvent qu’il est encore possible de construire quelque chose de beau et de durable sur cette terre qui nous a vus naître. Leur message est clair : Haïti mérite qu’on se batte pour elle.