150 millions de francs-or : le prix volé de la liberté

Port-au-Prince – Ce jeudi marque un anniversaire qui brûle encore la mémoire haïtienne. Le 17 avril 1825, le roi Charles X imposait à la jeune République noire, victorieuse de l’armée française dès 1804, une dette colossale de 150 millions de francs or (soit 21 milliards de dollars actuels) pour reconnaître son indépendance. Une « rançon » qui allait saigner le pays pendant 122 ans, jusqu’en 1947.

Devant la Villa d’Accueil, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a commémoré ce « crime économique » avec une exigence inédite : la restitution intégrale et des réparations.

« Comment les vainqueurs ont-ils pu payer les vaincus ? Cette dette odieuse a verrouillé notre destin dès l’origine », a tonné Fritz Alphonse Jean, président du CPT, entouré du Premier ministre et des chefs militaires.

Le mécanisme d’un pillage

  • 1825 : La France envoie 14 navires de guerre pour intimider Haïti. L’ordonnance royale exige 5 versements annuels de 30 millions de francs – six fois le budget national de l’époque.
  • 1838 : Le « Traité des liens d’amitié » réduit la dette à 90 millions, mais impose des emprunts à des banques françaises… avec des taux usuraires.
  • 1947 : Dernier paiement haïtien. Au total, 560 millions de dollars (valeur 2025) auront été siphonnés, selon le New York Times.

« Sans ce fardeau, Haïti aurait pu rivaliser avec la République dominicaine », analyse l’historien Jean-Marie Théodat (Sorbonne), présent à la cérémonie.

La France face à son passé

Pour la première fois, l’Élysée a reconnu ce jeudi la « violence structurelle » de cette dette :

« C’était un prix sur la liberté d’une jeune Nation, dont les effets ont pesé sur des générations »,
écrit Emmanuel Macron, promettant des « initiatives concrètes ».

Deux résolutions débattues à l’Assemblée française :

  1. LFI : Demande la reconnaissance des « crimes contre l’humanité » et une coopération renforcée.
  2. Députés ultramarins : Exigent un remboursement pur et simple.
    « Le pardon ne guérit pas les plaies. Il faut des actes », insiste le Martiniquais Marcellin Nadeau.

La feuille de route des réparations

Le CPT a lancé deux structures clés :

  1. Un Comité National de Restitution (21 membres) piloté par l’Université d’État d’Haïti.
  2. Une Commission mixte franco-haïtienne co-dirigée par l’historienne Gusti-Klara Gaillard et le Français Yves Saint-Geours.

Leurs missions :

  • Évaluer le préjudice total (dette + impacts sur 200 ans).
  • Proposer des modalités de réparation : annulation de la dette actuelle ? Fonds de développement ?
  • Réécrire les manuels scolaires des deux pays.

Sur le terrain, l’urgence persiste

Alors que 85% de Port-au-Prince est contrôlé par des gangs, les Haïtiens attendent du concret :
« Mes grands-parents ont payé cette dette avec leur café. Aujourd’hui, je n’ai même plus de terre à cultiver »,
témoigne Marie-Ange Louis, 68 ans, déplacée à Canaan.

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