L’État haïtien déploie une stratégie à double tranchant : d’un côté, il allège les charges des entreprises pour relancer la production nationale, de l’autre, il durcit sa lutte contre la contrebande. Une approche qui divise autant qu’elle interroge sur sa faisabilité dans le contexte sécuritaire actuel.

Alors qu’Haïti traverse une crise économique sans précédent, le gouvernement sort les grands moyens. Le ministère de l’Économie et des Finances (MEF), dirigé par Alfred Metellus, vient d’annoncer une série de mesures fiscales et douanières incitatives intégrées au budget rectificatif 2024-2025. L’objectif affiché ? Redynamiser un secteur privé à bout de souffle et créer de l’emploi dans un pays où le chômage frappe de plein fouet.

Des avantages élargis pour séduire les investisseurs

Le gouvernement joue la carte de la générosité fiscale. Désormais, les entreprises qui investissent dans leur rénovation, rééquipement, agrandissement ou modernisation bénéficient d’exonérations fiscales et douanières « sans restriction de période » pour l’importation d’équipements et de matières premières.

Cette mesure, qui modifie l’article 28 du Code des Investissements, représente un changement majeur dans la politique économique haïtienne. Plus question de limiter dans le temps ces avantages : l’État mise sur la durée pour convaincre les entrepreneurs de franchir le pas.

L’extension concerne également les entreprises orientées vers l’exportation ou la réexportation, secteur stratégique pour l’économie haïtienne. Ces structures pourront importer équipements, matériels et matières premières en bénéficiant des mêmes exonérations, une aubaine pour un pays qui peine à diversifier ses sources de devises.

La douane brandit le bâton contre les contrebandiers

Mais cette politique de la carotte s’accompagne du bâton. L’Administration générale des Douanes (AGD) annonce un durcissement spectaculaire de sa lutte contre la contrebande. Le message est clair : « les marchandises importées en contrebande ainsi que leurs moyens de transport seront saisis, confisqués et vendus à l’encan. »

Cette fermeté affichée fait référence à l’article 179 du Code des Douanes de mars 2023, un arsenal juridique que l’AGD promet d’appliquer « de manière stricte ». Une détermination qui interroge quand on sait que les fonctionnaires des douanes ont été chassés du point de passage stratégique de Malpasse par des hommes armés.

Un défi de taille dans un contexte explosif

Cette stratégie gouvernementale intervient dans un contexte particulièrement difficile. Haïti vit sa sixième année de dépression économique consécutive, aggravée par la violence endémique des gangs armés. Ces derniers contrôlent désormais d’importants axes routiers, rackettent les commerçants quand ils ne brûlent pas purement et simplement leurs commerces.

Comment l’État compte-t-il faire respecter ses nouvelles mesures anti-contrebande quand ses propres agents sont contraints de fuir leurs postes ? Comment les entreprises pourront-elles profiter de ces incitatifs si leurs activités restent à la merci des groupes armés ?

L’équation complexe de la relance économique

Cette politique révèle toute la complexité de la situation haïtienne. D’un côté, le gouvernement reconnaît implicitement que le secteur privé a besoin d’un soutien massif pour survivre et se développer. Les mesures annoncées sont généreuses et peuvent effectivement encourager les investissements.

De l’autre, l’efficacité de ces mesures dépendra largement de la capacité de l’État à garantir un environnement sécurisé pour les affaires. Or, cette capacité reste aujourd’hui largement théorique dans de nombreuses régions du pays.

Pour les entrepreneurs haïtiens, en Haïti comme dans la diaspora, ces nouvelles mesures représentent un signal encourageant de la part des autorités. Mais au-delà des annonces, c’est sur le terrain que se jouera la crédibilité de cette politique économique. Car la question demeure : peut-on véritablement relancer l’économie haïtienne sans d’abord résoudre la crise sécuritaire qui paralyse le pays ?

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