Le chroniqueur emblématique du Nouvelliste, homme de lettres aux mille facettes, a tiré sa révérence le 14 juin dernier à Pétion-Ville. Sa disparition marque la fin d’une époque pour le journalisme haïtien et laisse un vide immense dans le paysage intellectuel du pays.
La nouvelle a fait l’effet d’une onde de choc dans les couloirs du Nouvelliste et bien au-delà. Jean-Claude Boyer, 74 ans, avocat, économiste, écrivain et chroniqueur de renom, s’est éteint le 14 juin 2025 à Pétion-Ville, emportant avec lui des décennies de sagesse et d’expertise.
Un intellectuel aux multiples casquettes
Jean-Claude Boyer incarnait cette génération d’intellectuels haïtiens qui excellaient dans plusieurs domaines à la fois. Formé en droit et en économie, il avait fait du journalisme sa passion tardive mais durable. Au Nouvelliste, on lui avait donné « carte blanche » – nom prédestiné de sa chronique qu’il a alimentée pendant des décennies.
« Il écrivait sur tout », se souvient Max Chauvet, directeur du journal. Que ce soit le décès d’une personnalité publique, l’analyse d’un événement sportif ou une réflexion sur l’actualité géopolitique, rien n’échappait à sa plume affûtée et à son regard critique.
La mémoire vivante du Nouvelliste
Pour ses collègues, Jean-Claude Boyer était bien plus qu’un simple collaborateur. « C’était la sagesse incarnée », confie Valéry Daudier, secrétaire de rédaction. « Il maîtrisait les sujets liés à l’économie, la politique, la géopolitique… On apprenait toujours quelque chose en discutant avec lui. »
Cette érudition n’était jamais ostentatoire. Roberson Alphonse se rappelle « un physique tout sauf imposant » mais « une grande culture qui en imposait ». L’homme savait être « cash et direct dans ses critiques » tout en restant « généreux en conseils » avec les jeunes journalistes.
Un témoin inquiet de l’évolution du pays
Les dernières années ont été particulièrement douloureuses pour ce fin observateur de la société haïtienne. « En discutant avec lui, on pouvait facilement comprendre que la situation du pays ces dernières années l’affectait beaucoup », témoigne Valéry Daudier.
Cette nostalgie d’un Haïti révolu transparaissait dans ses échanges quotidiens. Gary Cyprien, responsable de la section Économie, se souvient d’un homme « très nostalgique des années antérieures » qui exprimait son malaise face à la situation actuelle du pays.
L’artisan de l’ancien temps dans un monde numérique
Jean-Claude Boyer appartenait à cette époque où l’écriture se faisait encore à la main. « Il ne maîtrisait pas trop bien les TIC », confie Gary Cyprien avec émotion. Cette particularité l’amenait à solliciter régulièrement ses collègues pour la saisie de ses textes, créant ainsi des liens privilégiés avec toute l’équipe.
Flore-Marie Désyr, qui dactylographiait ses articles deux à trois fois par semaine, garde un souvenir ému de ces collaborations : « Il était gentil et très reconnaissant quand on lui rendait un service. Au plus fort de l’insécurité, il m’appelait quasi quotidiennement pour savoir comment j’allais. »
Un legs inachevé
Tragiquement, Jean-Claude Boyer laisse derrière lui un projet inachevé. Il travaillait sur un ouvrage dont il avait promis à Flore-Marie Désyr que son nom y figurerait. « Malheureusement, il est mort avant de le terminer », regrette la jeune collaboratrice.
Cette œuvre interrompue symbolise peut-être le départ prématuré d’un homme qui avait encore tant à donner, tant d’histoires à raconter, tant de sagesse à partager.
Avec Jean-Claude Boyer, c’est un pan entier de l’histoire du journalisme haïtien qui se referme. Dans une époque où l’information circule à la vitesse de la lumière, sa disparition nous rappelle l’importance de prendre le temps de la réflexion, de cultiver la sagesse et de transmettre aux plus jeunes. Pour tous ceux qui l’ont connu, en Haïti comme dans la diaspora, une question demeure : qui prendra le relais de ces « sages » qui faisaient le lien entre les générations ?