Neuf ans de prison sans jugement pour Rita, plus d’un an de garde à vue pour d’autres : la visite du Commissaire du Gouvernement dans les commissariats de Port-au-Prince révèle l’ampleur de la crise judiciaire. Depuis l’attaque des grandes prisons en mars 2024, ces lieux sont devenus des centres de détention improvisés où s’entassent près de 650 personnes dans des conditions inhumaines.
C’est un constat alarmant que vient de dresser Me Frantz Monclair, Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince. Sa tournée dans plusieurs commissariats de la capitale, vendredi 20 juin, a mis en lumière une réalité que beaucoup soupçonnaient : l’effondrement complet du système carcéral haïtien.
Depuis l’attaque coordonnée du 2 mars 2024 contre les prisons de Port-au-Prince et de Croix-des-Bouquets par le groupe « Viv Ansanm », plus de 5 000 détenus se sont évadés. Conséquence directe : les commissariats de police sont devenus les nouveaux centres de détention par défaut, sans avoir les moyens ni l’infrastructure pour assumer ce rôle.
Des chiffres qui donnent le vertige
Les statistiques recueillies lors de cette visite sont édifiantes. Au centre de rétention de Delmas 33 (Cermicol), 549 personnes s’entassent dans un espace totalement inadapté. Hommes, femmes et mineurs sont mélangés dans une promiscuité qui bafoue tous les droits humains fondamentaux.
Dans les autres commissariats, la situation n’est guère meilleure : 41 détenus à Pétion-Ville (dont 7 femmes), 34 à Port-au-Prince (dont 3 femmes), et 21 à Canapé-Vert. Ces chiffres, bien qu’inquiétants, ne reflètent qu’une partie de la réalité d’un système judiciaire à l’agonie.
Rita, le visage d’une justice défaillante
L’histoire de Rita Mitice résume à elle seule le drame de la justice haïtienne. Incarcérée depuis 2016, cette femme n’a jamais comparu devant un juge. Neuf années de sa vie englouties dans l’attente d’un procès qui ne vient jamais. « On dort debout, il n’y a pas d’eau, ce sont les gens de l’église qui nous apportent de quoi boire », témoigne-t-elle avec une résignation poignante.
Son cas n’est malheureusement pas isolé. À Delmas 33, certains détenus affirment être en garde à vue depuis plus d’un an, dans une situation juridique totalement floue. Ces hommes et femmes vivent dans un vide procédural qui leur ôte toute dignité et tout espoir.
Pour nos compatriotes de la diaspora, ces témoignages rappellent douloureusement pourquoi tant d’Haïtiens ont quitté le pays. Comment accepter qu’en 2025, des citoyens croupissent des années en prison sans même connaître les charges qui pèsent contre eux ?
Des promesses dans le vide
Face à cette catastrophe humanitaire, Me Frantz Monclair a tenté de rassurer en annonçant la tenue prochaine « d’assises criminelles, avec ou sans assistance de jury, pour réduire la population carcérale et rendre justice aux détenus ». Mais ces promesses, déjà entendues par le passé, peinent à convaincre.
Comment organiser des assises dans un pays où les gangs contrôlent près de 60% du territoire ? Comment garantir la sécurité des magistrats, des avocats et des témoins dans un contexte où la justice elle-même est devenue une cible ?
Un État en décomposition
Cette crise carcérale n’est que le reflet d’un mal plus profond : l’effondrement de l’État haïtien. Quand les institutions les plus fondamentales – police, justice, système pénitentiaire – ne peuvent plus fonctionner, c’est tout le contrat social qui se brise.
Les conséquences de cet effondrement dépassent largement les frontières nationales. Elles alimentent l’exode vers les pays voisins, renforcent l’image négative d’Haïti à l’international et privent la diaspora de tout espoir de retour au pays.
La visite de Me Monclair aura au moins eu le mérite de rappeler une vérité dérangeante : Haïti n’est plus un État de droit. Derrière les barreaux de fortune des commissariats, des centaines de Rita attendent une justice qui ne viendra peut-être jamais. Leur calvaire questionne notre conscience collective : que restera-t-il de la dignité humaine quand l’État lui-même abdique ses responsabilités les plus élémentaires ? Une interrogation qui interpelle chaque Haïtien, où qu’il soit dans le monde.