Face à l’expansion territoriale des bandes armées, Kenscoff livre une bataille acharnée pour sa survie. Depuis janvier 2025, cette commune des hauteurs de Port-au-Prince multiplie les opérations de résistance, mais les bandits ne désarment pas. État d’urgence sécuritaire et mesures drastiques : les autorités locales sortent l’artillerie lourde.

Pour tous ceux qui connaissent Kenscoff – que ce soit les familles de la diaspora qui y passent leurs vacances ou les Port-au-Princiens qui y cherchent la fraîcheur des montagnes – la nouvelle fait froid dans le dos. Cette paisible commune des hauteurs, réputée pour ses jardins et son climat tempéré, est devenue un nouveau front dans la guerre que livre Haïti aux gangs armés.

Depuis fin janvier 2025, les tentacules de la criminalité organisée tentent de s’étendre sur ce territoire stratégique, mais ils se heurtent à une résistance farouche menée par les autorités locales et les forces de l’ordre.

Une bataille des montagnes aux allures de guérilla

L’agent exécutif de Kenscoff, Massillon Jean, ne mâche pas ses mots quand il décrit la réalité du terrain. Le 24 juillet dernier, une opération d’envergure a marqué un tournant dans cette guerre d’usure. Pour la première fois, la Police Nationale d’Haïti (PNH) a mené une offensive « bien coordonnée » avec des moyens exceptionnels : hélicoptère, task force, et corps des engins lourds.

Cette mobilisation technologique était nécessaire pour atteindre les repaires des bandits, nichés dans les montagnes difficilement accessibles en véhicule. Une géographie qui rappelle les défis sécuritaires uniques d’Haïti, où le relief devient souvent l’allié des criminels.

Le bilan de cette opération ? Des bandits tués, d’autres blessés, et plusieurs contraints à la fuite. Un succès initial qui témoigne de l’efficacité potentielle des forces de l’ordre quand elles disposent des moyens adéquats.

La contre-attaque : quand l’ennemi frappe en retour

Mais la victoire fut de courte durée. L’insuffisance d’effectifs pour consolider les positions reprises a permis aux gangs de riposter violemment. Le soir même, depuis leurs bases de repli à Furcy et Obléon, ils ont lancé une contre-attaque meurtrière à Téléco.

Le bilan est lourd : un policier tué, deux blessés, deux véhicules incendiés dont un blindé, et plusieurs civils enlevés. Ces enlèvements rappellent douloureusement aux familles haïtiennes, en Haïti comme à l’étranger, que personne n’est à l’abri de cette spirale de violence.

Le lendemain, les attaques se sont poursuivies contre les policiers cantonnés à Viard, témoignant de la détermination des gangs à prendre le contrôle de cette zone stratégique.

État d’urgence : Kenscoff se barricade

Face à cette escalade, les autorités locales ont décidé de passer à la vitesse supérieure. Depuis le 31 juillet, Kenscoff est placée en « état d’urgence sécuritaire » pour un mois, accompagné de mesures drastiques qui transforment le quotidien de ses habitants.

Les stations de motocyclettes sont interdites sur plusieurs axes pour empêcher les infiltrations et éviter que certains ne servent d’éclaireurs aux bandits. La vente de carburant dans certains récipients est également prohibée, une mesure qui vise à couper les approvisionnements logistiques des criminels.

Ces restrictions, bien que nécessaires, illustrent la réalité difficile que vivent aujourd’hui les Haïtiens : voir leur liberté de mouvement limitée par la menace constante des gangs.

Le défi de Carrefour : couper les renforts

Massillon Jean pointe du doigt un problème stratégique majeur : les bandits actifs à Kenscoff sont régulièrement approvisionnés en munitions et en renforts humains par des groupes provenant de Carrefour. Cette connexion logistique explique en partie la capacité de résistance des gangs face aux opérations policières.

« Nous lançons un appel pressant à la PNH et aux autorités concernées pour sécuriser les axes menant à Carrefour », insiste l’agent exécutif. Une demande qui souligne l’importance de penser la lutte anti-gang de manière globale et coordonnée.

Un symbole de résistance nationale

La bataille de Kenscoff dépasse les enjeux locaux. Cette commune symbolise la résistance des territoires encore libres face à l’expansion criminelle. Pour les Haïtiens de la diaspora qui suivent avec angoisse l’évolution sécuritaire du pays, Kenscoff représente un espoir : celui qu’il est encore possible de dire non aux gangs.

Mais cette résistance a un prix. Les habitants vivent désormais sous couvre-feu de fait, les activités économiques sont perturbées, et la peur s’installe dans ce qui était autrefois un havre de paix.

Kenscoff livre aujourd’hui une bataille qui nous concerne tous. Cette commune des montagnes est devenue un laboratoire de la résistance haïtienne face aux gangs. Son succès ou son échec aura des répercussions sur l’ensemble du territoire national. Le message est clair : il est encore temps de dire non à l’expansion criminelle, mais à quel prix ?

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