En l’espace de dix mois, Haïti a connu deux Premiers ministres, plus de 5 600 morts en 2024 et un million de déplacés. Les massacres s’enchaînent, ajoutant Kenscoff à la longue liste des localités ravagées par les gangs, aux côtés de Wharf Jérémie, Savien et Gressier.
Les services de renseignement avaient anticipé une attaque imminente sur Kenscoff, selon le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, qui a reconnu en conférence de presse que « tout le monde savait que quelque chose allait se produire ». Pourtant, malgré ces alertes, aucune action préventive efficace n’a été mise en place, laissant la commune à la merci des assaillants.
Une Violence Insoutenable
Depuis le début de la semaine, la situation reste chaotique à Kenscoff. Les témoignages locaux évoquent plus d’une quarantaine de morts entre lundi et mardi, un bilan encore provisoire alors que les violences persistent. Les gangs ont occupé l’église Baptiste de Kikwa et ont attaqué plusieurs communautés voisines. L’inhumation des victimes est impossible, laissant les cadavres à la merci des chiens errants.
« Un paysan qui tentait d’enterrer ses voisins a été décapité par les assaillants », rapporte le maire de Kenscoff, Jean Massillon, qui tente d’organiser l’aide pour les centaines de déplacés. Il pointe également du doigt l’origine de cette attaque : les bandits seraient partis de Carrefour avant d’atteindre Kenscoff via la route de Béli.
Des Pertes Humaines et Matérielles Alarmantes
Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) dresse un bilan accablant :
- Au moins 50 morts et disparus
- Plus d’une centaine de maisons incendiées, certaines avec leurs occupants à l’intérieur
- Des quartiers entiers sous contrôle des gangs, rendant toute intervention des forces de l’ordre difficile
Dans la localité de Kafou Bèt, six membres d’une même famille ont été exécutés. À Krevitè, cinq corps ont été découverts mardi matin. Les scènes de carnage se multiplient à Bwa Majò, Mache Gode et d’autres zones environnantes. L’hôpital de Fermathe est submergé de blessés.
Une Attaque Planifiée et Coordonnée
D’après le RNDDH, cette offensive a été menée par le gang VIV ANSANM avec la complicité de Pierfils Orvil, un évadé de prison originaire de Kenscoff. Les assaillants ont suivi un itinéraire stratégique depuis Carrefour, traversant Bèlisèt avant d’investir Chauffard, Bongo, Kafou Bèt et d’autres localités.
Les forces de l’ordre, notamment les unités spécialisées de la PNH et la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS), ont tenté une riposte. Si certaines zones ont été reprises, d’autres, comme Belot et Bwa Majò, restent sous l’emprise des gangs en raison du mauvais état des routes, entravant l’accès des blindés policiers.
Kenscoff, un Gressier Bis ?
Alors que le Premier ministre semble vouloir responsabiliser le chef de la PNH, l’avenir de Kenscoff demeure incertain. L’histoire récente montre que plusieurs localités, après avoir été attaquées, ont été laissées aux mains des gangs. Gressier en est l’exemple flagrant : depuis l’attaque du 10 mai 2024, la ville est sous contrôle criminel, et aucun effort décisif n’a été entrepris pour la libérer.
L’emprise des gangs s’étend inexorablement. Gressier, Ganthier, Solino, Nazon et le bas de Delmas sont tombés. Le centre-ville de Port-au-Prince est devenu impraticable, forçant le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) à fuir le Champ de Mars. L’hôpital de l’Université d’Haïti est une zone rouge, et même des journalistes ont été pris pour cible lors d’une couverture médiatique.
Une Crise Humaine Sans Précédent
Les massacres se succèdent et les chiffres de l’ONU sont alarmants : 5 601 morts et 1 million de déplacés en 2024. Chaque attaque rappelle les horreurs passées, de La Saline en 2018 à Petite-Rivière en 2024. L’État, malgré ses promesses, peine à rétablir la sécurité et à stopper l’effondrement du pays.
Kenscoff s’ajoute ainsi à la liste tragique des communautés sacrifiées. Pour combien de temps encore ?