Alors que la date des élections n’est toujours pas fixée, le Conseil électoral provisoire (CEP) a rendu publique cette semaine une première version de son décret électoral. Le document est soumis à l’appréciation des partis politiques et de la société civile jusqu’au 10 novembre, dans un souci affiché de transparence et d’inclusion.
Un appel à la participation des acteurs
Le CEP invite tous les acteurs politiques et organisations de la société civile à récupérer une version imprimée du projet de décret électoral au local de l’institution à Pétion-Ville, situé au 72, rue Stephen Archer, à partir du vendredi 31 octobre 2025. L’objectif est de recueillir les avis, suggestions et recommandations avant l’adoption définitive du texte.
Cette démarche participative, bien qu’inhabituelle, témoigne d’une volonté du CEP de construire un consensus autour des règles du jeu électoral. L’institution s’engage à conduire le processus « en toute indépendance et transparence, de manière impartiale et inclusive ». Pour la diaspora haïtienne qui observe avec attention chaque avancée vers des élections crédibles, cette ouverture au dialogue représente un signal encourageant, même si beaucoup restent sceptiques.
Des dispositions qui soulèvent des questions
Le projet de décret s’appuie fondamentalement sur la Constitution de 1987, celle-là même que le CEP avait initialement pour mission de réviser. Parmi les dispositions annoncées, l’article 221 prévoit l’installation d’au moins deux centres de vote par section communale sur l’ensemble du territoire national.
Cette promesse pose cependant une question majeure : comment organiser des élections dans les zones contrôlées par les gangs ? L’Ouest et l’Artibonite, où les groupes criminels ne cessent d’étendre leur emprise, représentent à eux seuls plus de 60% de l’électorat haïtien. La sécurité des électeurs et du personnel électoral reste un défi de taille que le décret ne semble pas aborder frontalement.
Le CEP annonce que la liste des centres de vote sera affichée dans les bureaux électoraux départementaux et communaux au moins trente jours avant le scrutin, laissant peu de temps pour d’éventuels ajustements en fonction de la situation sécuritaire.
Qui peut se présenter, qui ne le peut pas ?
Le projet de décret précise les conditions d’éligibilité et établit plusieurs restrictions. Selon l’article 410, les membres des commissions municipales et les agents exécutifs intérimaires qui n’auront pas démissionné dans les trente jours suivant la publication du décret ne pourront pas se porter candidats.
L’article 150, conformément à l’article 131 de la Constitution, exclut également de la course législative les concessionnaires ou cocontractants de l’État, leurs représentants, ainsi que les délégués, vice-délégués, juges et officiers du ministère public dont les fonctions n’ont pas cessé six mois avant la date fixée pour les élections.
Ces dispositions visent à éviter les conflits d’intérêts et à garantir une certaine séparation entre pouvoir administratif et pouvoir législatif, un principe souvent bafoué dans l’histoire politique haïtienne.
Subventions électorales : qui y aura droit ?
Le budget 2025-2026 prévoit une enveloppe colossale de plus de 3 milliards de gourdes en subventions pour les partis politiques. Mais attention, tous ne seront pas logés à la même enseigne. Selon l’article 183 du projet de décret, seuls les partis politiques et regroupements de partis ayant des candidats agréés aux élections pourront bénéficier de cette aide pour mener leur campagne.
Les regroupements de partis bénéficieront même d’une subvention additionnelle déterminée par le CEP. Le montant global sera calculé en fonction du nombre de candidats agréés par chaque parti ou regroupement.
Mauvaise nouvelle pour les candidats indépendants : l’article 185 est clair, aucune subvention financière publique ne leur sera accordée. Cette disposition pourrait limiter les candidatures indépendantes et renforcer le poids des structures partisanes traditionnelles.
Pour toucher ces fonds publics, les partis devront cependant remplir certaines conditions. L’article 186 exige notamment qu’ils présentent l’accusé de réception du dépôt de leur rapport de gestion de l’exercice budgétaire précédent à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, au moins un mois avant la campagne électorale. Une exigence de transparence financière qui pourrait en éliminer plus d’un.
Un processus sous haute surveillance
Le CEP dispose désormais jusqu’au 10 novembre pour recueillir les remarques et recommandations des acteurs. La version finale du décret électoral devra tenir compte de ces observations tout en répondant aux défis sécuritaires et logistiques qui menacent la tenue même du scrutin.
Les Haïtiens, qu’ils vivent au pays ou dans la diaspora, attendent de voir si ce projet de décret saura réellement poser les bases d’élections crédibles et inclusives. Entre les zones contrôlées par les gangs, les questions de financement et les critères d’éligibilité, le chemin vers un retour à l’ordre constitutionnel reste semé d’embûches. Le dialogue lancé par le CEP permettra-t-il de lever ces obstacles ? Réponse dans les semaines à venir.
