Plus de 10 milliards de gourdes déjà engloutis pour un parlement qui ne siège plus. Cette année encore, 3,5 milliards partiront dans les poches de près de 4 000 employés fantômes, pendant que l’État manque de ressources pour combattre l’insécurité. Un scandale qui révèle l’ampleur du gaspillage des deniers publics.

Imaginez un instant : 4 000 personnes qui touchent religieusement leur salaire chaque mois sans jamais mettre les pieds au bureau. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est la réalité du parlement haïtien depuis près de cinq ans. Un système aberrant qui coûte cette année 3,5 milliards de gourdes au contribuable haïtien.

Le business juteux des employés fantômes

Les chiffres donnent le vertige. 172 millions de gourdes rien que pour le mois de mars 2025. Côté Sénat, 1 469 employés se partagent 73,8 millions de gourdes mensuelles. À la Chambre des députés, 2 357 personnes empochent 99,1 millions. Le tout pour un parlement qui ne fonctionne plus depuis 2020.

« Une bonne partie de ces employés touchent par virement bancaire », confie une source au ministère de l’Économie et des Finances. Les autres font le déplacement jusqu’à un local exigu de Delmas pour retirer leurs chèques. Une routine mensuelle qui se perpétue dans l’indifférence générale.

Pour les Haïtiens de la diaspora qui envoient des millions de dollars d’aide à leurs familles restées au pays, cette gabegie fait particulièrement mal. Pendant que leurs proches galèrent pour survivre, des privilégiés s’enrichissent sur le dos de l’État.

L’excuse commode de l’insécurité

Face à ce scandale, l’administration se retranche derrière les procédures. « Le MEF n’a pas l’autorité pour révoquer un employé », explique notre source. Il faudrait « une décision de la primature, un avis de la Cour des comptes ». En attendant, les virements continuent.

L’insécurité sert aussi d’excuse. Impossible de faire un « paiement spécial » pour vérifier qui travaille vraiment, prétexte-t-on au ministère. Pourtant, les salaires, eux, arrivent toujours à destination sans problème de sécurité.

Dix milliards déjà évaporés

Depuis 2020, ce sont plus de 10 milliards de gourdes qui ont été engloutis dans ce puits sans fond. En 2022-2023, le budget parlementaire atteignait 4,7 milliards. L’année suivante, « seulement » 3,7 milliards. Cette année, retour à 3,5 milliards.

Pendant ce temps, l’État manque cruellement de ressources pour lutter contre l’insécurité. Les forces de l’ordre manquent d’équipements, les hôpitaux publics ferment faute de moyens, et des milliers de familles déplacées survivent dans des conditions précaires.

Quand les gangs chassent, l’État gaspille

Le contraste est saisissant. D’un côté, des centaines de milliers d’Haïtiens ont tout perdu face aux gangs : leurs maisons, leurs commerces, leurs moyens de survie. Ils s’entassent aujourd’hui dans des camps de fortune, attendant une aide qui ne vient pas.

De l’autre, près de 4 000 privilégiés continuent de percevoir leurs émoluments sans jamais justifier leur utilité. Un système à deux vitesses qui révèle toute l’injustice du système haïtien.

Pour un commerçant de Cité Soleil qui a vu sa boutique partir en fumée, pour une couturière de Martissant qui ne peut plus exercer son métier, ces 3,5 milliards représentent des milliers d’opportunités perdues de reconstruction.

L’État complice de son propre pillage

Le plus révoltant dans cette affaire, c’est la passivité des autorités. « Le versement de salaire depuis plusieurs années à des employés du Parlement qui ne rendent aucun service à l’État est un problème. Il a été posé lors de plusieurs réunions mais il n’y a pas encore de décision », reconnaît-on au MEF.

Autrement dit, tout le monde sait, mais personne n’agit. Cette paralysie administrative arrange bien du monde : les bénéficiaires du système, évidemment, mais aussi tous ceux qui préfèrent maintenir le statu quo plutôt que d’affronter les résistances.

Des douanes qui rapportent, un État qui dilapide

Paradoxe haïtien : pendant que les douanes font des « records » de recettes, l’État continue de gaspiller ses ressources dans des gouffres financiers comme ce parlement fantôme. Une gestion schizophrène qui prive le pays des investissements urgents en sécurité et en assistance sociale.


Cette gabegie parlementaire illustre parfaitement les maux de l’État haïtien : clientélisme, impunité, gaspillage des deniers publics. Pendant que des familles entières fuient les gangs et survivent dans la misère, 4 000 privilégiés continuent de s’enrichir aux frais du contribuable. Combien de temps encore cette mascarade va-t-elle durer ? La réponse dépendra de la volonté politique des autorités de transition de nettoyer enfin ces écuries d’Augias. Mais à voir leur inaction depuis des mois, on peut légitimement en douter.

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