Cinq sénateurs américains, républicains et démocrates unis, relancent un projet de loi pour sanctionner les gangs haïtiens et surtout leurs complices dans l’élite politique et économique. Un signal fort qui vise autant Port-au-Prince que les capitales où se cachent les vrais financiers de la violence.

L’heure n’est plus aux déclarations de principe. Cette semaine, le Congrès américain a remis sur la table un projet de loi qui pourrait changer la donne dans la lutte contre l’insécurité en Haïti. Cinq sénateurs – trois démocrates et deux républicains – viennent de réintroduire le « Haiti Criminal Collusion Transparency Act », une loi qui promet de s’attaquer enfin aux vrais commanditaires de la violence.

Au-delà des gangs : viser les « élites corrompues »

L’originalité de ce projet de loi réside dans son approche globale. Plutôt que de se contenter de sanctionner les chefs de gangs déjà connus, le texte vise explicitement « les élites politiques et économiques haïtiennes qui sont de connivence avec les gangs criminels », comme l’explique le sénateur républicain John Curtis.

Cette approche fait écho aux frustrations de nombreux Haïtiens qui savent que derrière chaque gang se cachent des financiers en costume-cravate. Des hommes d’affaires qui commanditent des enlèvements, des politiciens qui arment les groupes pour intimider leurs rivaux, des bourgeois qui profitent du chaos pour s’enrichir.

Pour la diaspora haïtienne, cette reconnaissance officielle de la « collusion criminelle » représente une victoire importante. Depuis des années, les communautés de Miami, New York ou Montréal dénoncent ces liens troubles entre violence et pouvoir économique.

« Plus d’un million de déplacés » : quand les chiffres parlent

Les sénateurs américains ne mâchent pas leurs mots. « La violence continue des gangs a déplacé plus d’un million d’Haïtiens, y compris des femmes et des enfants », souligne Jeanne Shaheen, démocrate du New Hampshire. Un chiffre qui résonne douloureusement dans les familles haïtiennes dispersées à travers le monde.

Ces déplacés, ce ne sont pas que des statistiques. Ce sont les tantes qui ont fui Cité Soleil, les cousins qui ont abandonné leur petite entreprise à Delmas, les grands-parents qui survivent dans des camps de fortune. Autant de drames humains que suivent avec angoisse les Haïtiens de l’étranger, impuissants face à la déliquescence de leur pays natal.

Washington assume ses intérêts géostratégiques

Le projet de loi ne cache pas ses motivations : protéger « les intérêts nationaux des États-Unis ». Une franchise qui tranche avec les discours habituels sur l’aide humanitaire. « Les Américains sont plus en sécurité et plus prospères lorsque Haïti est stable », déclare sans détour le sénateur démocrate Chris Coons.

Cette approche pragmatique pourrait paradoxalement servir les intérêts haïtiens. Car un Congrès américain motivé par ses propres préoccupations sécuritaires sera peut-être plus déterminé qu’un Congrès mu par la seule compassion.

Le sénateur républicain Rick Scott, de Floride, État qui accueille une importante communauté haïtienne, est particulièrement virulent : « Le peuple haïtien souffre depuis trop longtemps aux mains de gangs violents et d’élites corrompues qui privilégient leur propre pouvoir au détriment de leur peuple. »

Un dispositif de surveillance renforcé

Au-delà des sanctions, la loi prévoit un mécanisme de suivi strict. Le secrétaire d’État devra remettre chaque année au Congrès un rapport détaillé sur « l’ampleur et la nature de la collusion criminelle en Haïti ». Fini le temps où les complicités se tissaient dans l’ombre.

Cette transparence forcée pourrait avoir des effets inattendus. Comment continuer à financer discrètement un gang quand on sait que les services américains scrutent chaque transaction suspecte ?

Un consensus bipartisan rare

Dans une Amérique polarisée, ce projet de loi fait l’unanimité. Démocrates et républicains s’accordent sur le diagnostic et les solutions. Un consensus qui augure bien de son adoption, d’autant que la version de la Chambre des représentants a déjà été adoptée en commission en avril.

Pour les Haïtiens, ce soutien bipartisan représente une garantie de continuité. Quel que soit le résultat des prochaines élections américaines, cette politique de fermeté devrait perdurer.


Si ce projet de loi voit le jour, il pourrait marquer un tournant dans la lutte contre l’impunité en Haïti. Pour la première fois, les vrais sponsors de la violence risquent d’être inquiétés, y compris ceux qui se croyaient à l’abri dans leurs villas de Pétion-Ville ou leurs bureaux climatisés. Reste à voir si cette pression américaine suffira à briser les réseaux criminels ou si elle ne fera que pousser les complices vers d’autres cieux plus cléments. Une chose est sûre : l’ère de l’impunité totale semble toucher à sa fin.

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