Donald Trump a limogé vendredi la commissaire du Bureau fédéral des statistiques américaines après la publication de chiffres d’emploi décevants. Une décision qui fait scandale outre-Atlantique et qui rappelle aux Haïtiens l’importance cruciale de statistiques indépendantes pour évaluer les performances économiques d’un pays.
L’actualité américaine nous offre parfois des leçons qui résonnent bien au-delà des frontières des États-Unis. Ce vendredi 1er août, Donald Trump a provoqué un tollé en exigeant le renvoi d’Erika McEntarfer, la commissaire du Bureau fédéral des statistiques, simplement parce que les derniers chiffres de l’emploi ne correspondent pas à son discours triomphaliste sur l’économie américaine.
Pour nous Haïtiens, qui connaissons bien les défis liés à la production et à l’interprétation des données économiques, cette affaire soulève des questions fondamentales sur l’indépendance des institutions statistiques et leur rôle dans une démocratie.
Des chiffres qui dérangent le récit présidentiel
Les données publiées vendredi dressent un tableau plus nuancé que ne le voudrait Trump. Seulement 73 000 emplois créés en juillet (bien en deçà des prévisions), un taux de chômage qui grimpe légèrement à 4,2%, et surtout, une révision drastique à la baisse des chiffres de mai et juin : 260 000 emplois de moins que prévu, avec des créations d’emplois au plus bas depuis la pandémie de Covid-19.
Face à ces statistiques embarrassantes, Trump a réagi comme il en a l’habitude : en accusant le messager. « Nous avons besoin de personnes à qui nous pouvons faire confiance », a-t-il déclaré, accusant sans preuves la commissaire d’avoir « truqué [les chiffres] pour donner une mauvaise image des républicains et de moi-même ».
Une explication rationnelle ignorée
Pourtant, les experts avancent une explication bien plus prosaïque : les entreprises, notamment les PME, ont simplement mis plus de temps à répondre aux enquêtes statistiques. Cette lenteur administrative, que connaissent bien les économistes travaillant sur Haïti, explique ces révisions tardives et cette apparente sous-estimation initiale.
William Beach, le prédécesseur d’Erika McEntarfer qui avait lui-même officié sous Trump, n’a pas mâché ses mots : « Le renvoi totalement infondé d’Erika McEntarfer […] est un précédent dangereux et sape la mission du Bureau ».
Un pattern inquiétant pour la démocratie
Cette affaire s’inscrit dans une tendance plus large qui devrait interpeller tous ceux qui s’intéressent à la gouvernance démocratique. Trump « s’ajoute à la longue liste des personnes limogées […] pour la simple raison que le président n’était pas content de ce qu’elles ont pu dire, faire ou écrire ».
Pour les Haïtiens, qui ont souvent vu leurs institutions affaiblies par l’ingérence politique, ce comportement n’est pas sans rappeler certaines dérives connues sous nos tropiques. La différence réside dans la solidité du système institutionnel américain et la rapidité de la réaction critique.
Les leçons pour Haïti
Cette polémique américaine nous rappelle combien il est crucial d’avoir des institutions statistiques indépendantes et crédibles. En Haïti, l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) joue un rôle similaire, et sa capacité à produire des données fiables et non partisanes est essentielle pour éclairer les décisions politiques et économiques.
Les révisions de chiffres, loin d’être suspectes, sont en réalité la marque d’organismes sérieux qui préfèrent la précision à la rapidité. C’est une leçon que tous les dirigeants, qu’ils soient à Washington ou à Port-au-Prince, devraient intégrer.
La réaction des économistes américains
La fédération américaine d’économistes NABE a « fermement condamné » ce renvoi, précisant que « les révisions importantes des chiffres de l’emploi ces dernières années ne reflètent pas une manipulation, mais plutôt la diminution des ressources allouées aux agences statistiques ».
Cette explication technique souligne un problème que connaissent bien les pays en développement : le manque de ressources allouées aux instituts statistiques limite leur capacité à produire des données en temps réel.
L’affaire McEntarfer nous rappelle que même dans la plus grande démocratie du monde, l’indépendance des institutions reste fragile face aux pressions politiques. Pour Haïti, qui construit ses propres institutions démocratiques, cette leçon américaine est précieuse : des statistiques indépendantes ne sont pas un luxe, mais une nécessité démocratique. Quand les chiffres dérangent, c’est souvent qu’ils disent la vérité.