L’île de la Gonâve suffoque. Contrôlée par les gangs de Viv ansanm, elle vit désormais isolée du reste d’Haïti. Entre rançons astronomiques et meurtres en pleine mer, ses 120 000 habitants se retrouvent pris au piège.
Imaginez un instant vivre sur une île où prendre un bateau pour aller chercher son salaire peut vous coûter la vie. C’est le quotidien cauchemardesque des habitants de la Gonâve depuis que les bandits de la coalition Viv ansanm ont étendu leur emprise sur les eaux territoriales haïtiennes. Un agent de santé du MSPP en a récemment fait les frais : assassiné puis jeté à la mer alors qu’il tentait de rejoindre Saint-Marc pour encaisser son chèque.
Une île transformée en prison à ciel ouvert
Depuis le début de l’année 2025, les criminels ont établi leur base à « Lilètkresan », d’où ils contrôlent une bonne partie de la côte sud de l’île. Leurs patrouilles en face de Petite Anse terrorisent une population qui ne peut plus compter que sur le port de Pointe-à-Raquette, relié à Miragoâne, pour maintenir un semblant de connexion avec le reste du pays.
Le journaliste Johann W. Sébastien Joseph, qui a tiré la sonnette d’alarme lors de l’émission Panel Magik, relate des scènes dignes d’un film d’horreur. Le 24 juin dernier, les bandits ont envahi « Ti Gonav », une petite île refuge, et ont tué Deliswa, un commerçant de poissons. Pire encore : ils ont forcé les témoins à nettoyer le sang avant de repartir avec le cadavre. Depuis, cette petite île a été abandonnée par ses habitants.
Des rançons qui défient l’entendement
Les chiffres donnent le vertige. Un transporteur assurant le trajet Wharf Jérémie/Anse-à-Galets a dû payer un million de gourdes pour récupérer son bateau kidnappé. Un autre propriétaire a déboursé 50 000 dollars américains – soit près de 7 millions de gourdes – pour libérer son embarcation et ses occupants. Ces sommes, astronomiques pour des Haïtiens ordinaires, illustrent l’ampleur de cette économie criminelle qui s’épanouit sur la détresse des plus vulnérables.
Au port de Wharf Jérémie, les « postes de péage » imposés par les bandits peuvent atteindre 100 000 gourdes. Résultat : le prix des produits sur l’île a augmenté de 50% par rapport au reste du pays. Le trajet Petit-Goâve/Cariès est passé de 2 000 à 10 000 gourdes, soit une multiplication par cinq.
Un étranglement économique fatal
Cette situation rappelle douloureusement le blocus imposé à Cuba ou à Gaza : une population entière privée de ses moyens de subsistance. Le bétail élevé localement pourrit sur place, incapable d’atteindre les marchés de la « grande terre ». Les melons produits sur l’île subissent le même sort. Dans un territoire où « la pluviométrie est difficile » et qui dépend largement des importations pour sa survie, cet isolement forcé équivaut à une condamnation à mort économique.
Les familles vivent dans l’angoisse permanente. « Les parents ne peuvent être en paix tant qu’ils n’ont pas la certitude que leurs proches sont arrivés à destination sains et saufs », témoigne le journaliste. Une réalité qui résonne chez tous les Haïtiens, qu’ils soient à Port-au-Prince, Boston ou Montréal, qui ont des proches contraints de naviguer dans ces eaux devenues hostiles.
L’État haïtien aux abonnés absents
Face à cette tragédie, l’indifférence des autorités interroge. Le vice-délégué de Pointe-à-Raquette, Edner Désir, avait promis en mars dernier un « couloir sécuritaire » pour escorter les bateaux. Quatre mois plus tard, rien. Le président du CPT a annoncé l’arrivée de quatre bateaux de patrouille, mais « la Gonâve fait-elle vraiment partie de leurs priorités ? », s’interroge amèrement Johann W. Sébastien Joseph.
Cette négligence n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, cette île de 120 000 habitants – soit plus que certains départements français – reste le parent pauvre des politiques publiques haïtiennes. Aujourd’hui, elle paie cash cette marginalisation historique.
La Gonâve crie au secours, mais qui l’entend ? Alors que l’attention se concentre sur Port-au-Prince, une île entière agonise dans l’indifférence générale. Si l’État haïtien n’agit pas rapidement, cette terre qui a vu naître tant de héros de l’indépendance risque de devenir le symbole tragique d’un pays qui abandonne ses enfants. Jusqu’à quand ?