Imaginez : en cinq mois, un million de repas distribués dans les camps. Pourtant, le ministre Herwil Gaspard l’avoue sans détour : « L’aide alimentaire ne suffit plus. » Direction, une stratégie en trois temps qui veut sortir 180 000 personnes des camps et couper l’herbe sous le pied des gangs. Pari risqué ou révolution nécessaire ?

Mardi dernier à la Primature, pas de langue de bois. « Ces familles n’ont pas fui une catastrophe naturelle. Elles ont été chassées de leurs maisons par la terreur des armes », lâche le ministre délégué chargé des Affaires humanitaires. Une phrase qui dit tout : cette crise n’a rien à voir avec un séisme ou un cyclone. Elle a été fabriquée par l’homme, et ses solutions doivent l’être aussi.

Les camps, nouvelles villes de fortune

Dans l’Ouest, l’Artibonite et le Centre, 180 000 âmes survivent sous des bâches et des tôles. Derrière ce chiffre froid, des enfants qui grandissent dans la promiscuité, des femmes qui accouchent sur la terre battue, des hommes qui perdent leur dignité jour après jour.

Ces camps ne ressemblent pas à ceux de 2010. Là, c’était la solidarité face à la nature qui avait frappé. Ici, c’est la méfiance qui règne : qui peut garantir que le gang ne viendra pas recruter votre fils demain ?

La nouvelle donne : trois coups pour sortir du piège

Premier mouvement : occuper le terrain

Fini l’improvisation. FAES pour les repas, DINEPA pour l’eau, ONM pour recenser, MSPP pour soigner. Chaque institution a sa partition dans cet orchestre de la survie. Sur le papier, ça sonne bien. Dans la réalité haïtienne, où les institutions se marchent souvent sur les pieds, le défi est énorme.

Deuxième tempo : les chèques anti-camps

L’innovation du gouvernement ? Des subventions locatives directes pour permettre aux familles de quitter les camps. Plus question de vivre des années sous la bâche comme après le séisme. L’idée : rendre leur intimité aux familles, leur redonner quatre murs et une porte qu’elles peuvent fermer.

Un pari audacieux quand on sait que le marché locatif haïtien n’est pas tendre avec les plus démunis.

Troisième round : casser la spirale de la dépendance

Voilà le coup de poker du gouvernement : transformer les bénéficiaires en acteurs. Formation professionnelle avec l’INFP, activités génératrices de revenus, insertion des jeunes des camps. L’objectif ? Que ces familles n’aient plus besoin d’être « sauvées » par quiconque.

Le programme PREJEUNES, lancé début juillet, illustre cette philosophie : offrir une alternative concrète aux jeunes avant que les gangs ne leur tendent leurs filets dorés.

Le pari de l’autonomie

« Il faut briser le cycle de dépendance », martèle le ministre Gaspard. Traduction libre : arrêter de nourrir les gens pour qu’ils se nourrissent eux-mêmes. Une logique qui fait écho à la sagesse populaire haïtienne : « Pi bon pase n ap ban moun pwason, ann montre l li kijan pou l pèche. »

Cette approche vise aussi à couper les ponts entre détresse sociale et recrutement armé. Car les gangs l’ont bien compris : un jeune qui crève la faim est un futur soldat potentiel.

Les questions qui fâchent

Cette stratégie ambitieuse soulève des interrogations cruciales. D’abord, l’argent : qui va financer ces subventions locatives et ces formations ? Ensuite, la sécurité : comment protéger ces programmes des gangs qui contrôlent de larges portions du territoire ?

Et puis, la question ultime : après des décennies d’assistanat, les déplacés sont-ils prêts à devenir acteurs de leur propre relèvement ? L’histoire récente d’Haïti montre que les bonnes intentions se heurtent souvent aux réalités du terrain.

L’heure de vérité

Ce changement de cap gouvernemental arrive à un moment charnière. Avec plus d’un million de déplacés internes, Haïti frôle l’implosion sociale. Les prochains mois diront si cette stratégie de rupture peut vraiment transformer la tragédie en opportunité.

Entre l’urgence humanitaire et la vision à long terme, le gouvernement haïtien tente un équilibre périlleux. Les familles déplacées, épuisées par des mois de survie précaire, attendent des preuves concrètes que cette fois, les promesses se transformeront en réalité. Car derrière les grands discours, il y a des enfants qui ont faim et des parents qui ont perdu espoir. À eux de juger si cette nouvelle partition gouvernementale saura enfin jouer juste.

Partager.

Les commentaires sont fermés.

Exit mobile version