Le président du CPT Fritz Alphonse Jean défend bec et ongles le contrat de 27 ans accordé à Caribbean Port Services pour gérer le port national. Mais pourquoi une telle insistance sur la « légalité » de l’accord ? Et pourquoi communiquer si tard ?

Une défense qui arrive après la bataille

Il aura fallu attendre une semaine après la rencontre du 28 juillet à la Villa d’Accueil pour que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) sorte enfin du silence. Le 4 août, Fritz Alphonse Jean a publié une note officielle pour défendre le contrat liant l’État haïtien à Caribbean Port Services (CPS), l’entreprise qui gère notre port national depuis des années.

La réunion avec Philippe Coles et Édouard Baussan, les représentants de CPS, était pourtant censée « clarifier » les termes d’un contrat qui fait débat. Mais le ton défensif du communiqué officiel laisse plutôt penser que les explications étaient devenues urgentes face aux critiques grandissantes.

Un contrat de 27 ans qui fait grincer des dents

Au cœur de la polémique : un contrat renouvelé le 4 décembre 2023 qui accorde à CPS un droit d’exploitation du port pour « trois fois neuf ans », soit 27 ans au total. Pour nos compatriotes qui peinent à joindre les deux bouts alors que le coût de la vie explose, voir une entreprise privée gérer un bien public stratégique sur près de trois décennies peut légitimement poser question.

D’autant plus que ce contrat porte sur les « droits d’affermage des terres » du domaine privé de l’État. En clair, CPS ne se contente pas de gérer les opérations portuaires, elle a aussi des droits sur les terrains, ce qui représente une valeur considérable dans un pays où la terre est une richesse rare.

Une avalanche de décrets pour justifier l’accord

Face aux interrogations, Fritz Alphonse Jean a sorti l’artillerie juridique lourde. Le CPT cite pas moins de trois décrets pour défendre la légalité du contrat :

  • Le décret du 7 avril 1978 portant création de l’APN
  • Le décret du 15 mars 1985 réformant le cadre institutionnel
  • Le décret du 22 septembre 1964 sur les loyers et fermages des biens de l’État

Cette profusion de références légales, inhabituelle dans les communiqués habituels du CPT, traduit une volonté de couper court à toute contestation. Mais elle soulève aussi des questions : pourquoi tant d’insistance si tout était si clair dès le départ ?

Des « investissements importants » qui justifient tout ?

L’argument phare du CPT reste l’importance des investissements consentis par CPS, qui nécessiteraient « un long délai d’amortissement ». C’est le classique argument économique : l’entreprise a investi, elle doit pouvoir rentabiliser.

Mais dans un pays où les infrastructures publiques manquent cruellement – routes défoncées, hôpitaux en détresse, écoles sans électricité -, cette logique peut paraître discutable. D’autant que le port national génère des revenus substantiels qui pourraient, en théorie, bénéficier directement au Trésor public.

Une transparence à géométrie variable

Le CPT assure que la rencontre s’est déroulée « dans un climat de transparence et de coopération ». Pourtant, le délai d’une semaine entre la réunion et la communication publique interroge. Dans un pays où chaque décision gouvernementale est scrutée à la loupe, pourquoi attendre si longtemps pour rassurer l’opinion publique ?

Cette gestion de la communication rappelle malheureusement les vieilles habitudes de l’administration haïtienne : on communique quand la pression devient trop forte, pas par souci de transparence préventive.

Entre justifications et zones d’ombre

Si Fritz Alphonse Jean avait vraiment voulu clore le débat, cette sortie médiatique rate sa cible. En multipliant les références juridiques et en insistant lourdement sur la légalité de l’accord, le CPT donne l’impression de se justifier face à des accusations précises plutôt que de faire preuve de transparence proactive.

Le dossier CPS-APN illustre parfaitement les défis de gouvernance que doit relever Haïti. Entre la nécessité d’attirer les investissements privés et celle de préserver les intérêts publics, l’équilibre est délicat. Mais dans un contexte où la confiance des citoyens envers leurs dirigeants est au plus bas, chaque contrat, chaque décision mérite une explication claire et anticipée. Le silence suivi de justifications tardives ne fait qu’alimenter les soupçons.

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