Le parquet de Port-au-Prince vit une crise sans précédent avec trois changements de leadership en seulement 22 jours. Cette instabilité chronique au cœur de la justice haïtienne soulève des questions sur la capacité du système judiciaire à fonctionner normalement dans un pays déjà en proie à de multiples crises.
Imaginez un hôpital qui changerait de directeur médical toutes les trois semaines, ou une école qui verrait défiler trois directeurs en moins d’un mois. C’est exactement ce qui se passe au parquet de Port-au-Prince, cette institution cruciale de la justice haïtienne qui ressemble désormais à un carrousel administratif.
Mardi 16 septembre, Me Fritz Patterson Dorval a prêté serment comme nouveau commissaire du gouvernement par intérim, devenant ainsi le troisième homme à occuper ce poste en seulement 22 jours. Une valse des chefs qui ferait presque sourire si elle ne révélait pas l’état dramatique de notre système judiciaire.
L’affaire Nenel Cassy au cœur du chaos
Cette instabilité trouve son origine dans la libération controversée de l’ancien sénateur Nenel Cassy, un dossier qui continue d’empoisonner l’appareil judiciaire. Me Frantz Monclair, le premier commissaire à tomber, a été mis en disponibilité sans solde le 19 août pour « faute grave » liée à cette affaire.
Son remplaçant, Me Guy Alexis, nommé le 25 août, n’aura même pas eu le temps de chauffer sa chaise avant d’être écarté à son tour. C’est alors que Me Roosevelt Cadet, simple substitut, a été propulsé commissaire par intérim. Mais son règne de 22 jours vient de prendre fin avec la nomination de Me Dorval, précédemment en charge du parquet de Petit-Goâve.
« Une décision prise au plus haut niveau »
Joint par téléphone, Me Roosevelt Cadet confirme son éviction avec une pointe d’amertume. « C’est une décision prise au plus haut niveau », déclare-t-il, rejetant fermement les rumeurs selon lesquelles il aurait été sanctionné pour avoir rouvert le dossier Nenel Cassy.
Cette phrase, « au plus haut niveau », résonne comme un aveu : la justice haïtienne subit des pressions politiques qui n’ont rien à voir avec le droit. Pour nos compatriotes qui croient encore en l’indépendance de la justice, cette valse des commissaires est un signal d’alarme supplémentaire.
Des dossiers cruciaux en souffrance
Pendant que les chefs du parquet se succèdent à vitesse grand V, les dossiers s’accumulent. Crimes de sang, corruption, violences des gangs : autant d’affaires qui mériteraient d’être traitées rapidement mais qui risquent de traîner encore plus longtemps à cause de cette instabilité chronique.
Pour nos frères et sœurs de la diaspora qui suivent de loin l’évolution de la situation judiciaire, ces changements perpétuels rappellent malheureusement une constante de la vie publique haïtienne : l’incapacité à maintenir la continuité institutionnelle.
Une rentrée judiciaire sous tension
À moins de deux semaines de la réouverture des travaux judiciaires, cette crise de leadership tombe au plus mal. Comment peut-on espérer que la justice fonctionne correctement quand ses dirigeants changent plus souvent que les saisons ?
Me Fritz Patterson Dorval hérite donc d’un parquet en pleine tourmente, avec des dossiers sensibles et une équipe déstabilisée par ces bouleversements incessants. Sa première mission sera de rassurer un personnel judiciaire habitué désormais à voir défiler les responsables.
Cette instabilité au sommet de la justice de Port-au-Prince n’est pas qu’un problème administratif : c’est le reflet d’un système judiciaire à bout de souffle, incapable de garantir la continuité nécessaire au bon fonctionnement de la justice. Comment peut-on demander aux citoyens haïtiens, ici comme dans la diaspora, de faire confiance à une justice qui change de cap tous les trois jours ? N’est-il pas temps de mettre fin à cette mascarade qui discrédite chaque jour un peu plus nos institutions ?