Le président dominicain défend son protocole migratoire controversé lors d’une tournée à la frontière, exacerbant les tensions avec les Haïtiens

Dans un climat de tensions croissantes, le président dominicain Luis Abinader a sèchement répondu aux critiques d’Amnesty International sur sa politique migratoire, lançant un défi provocateur : « Allez travailler en Haïti ! » Cette sortie, prononcée lors d’une tournée à la frontière, ravive les frustrations de la communauté haïtienne, en Haïti comme dans la diaspora, face aux déportations massives.

Une réplique cinglante à Amnesty

Ce jeudi 24 avril 2025, lors d’une visite à la frontière haïtiano-dominicaine, Luis Abinader n’a pas mâché ses mots. Interrogé sur les accusations d’Amnesty International, qui qualifie son nouveau protocole migratoire de « déshumanisant », le président a riposté : « À Amnesty International, je dis qu’ils devraient aller travailler en Haïti, s’occuper des droits humains là-bas. Qu’ils n’abandonnent pas Haïti, et que la communauté internationale fasse de même. Ma responsabilité, c’est de défendre la République Dominicaine. »

Ce protocole, en vigueur depuis le 21 avril, oblige les migrants sans papiers, y compris les Haïtiens, à présenter des documents valides pour accéder aux soins dans 33 hôpitaux publics dominicains. En cas de situation irrégulière, les patients reçoivent des soins d’urgence, mais risquent une expulsion immédiate, même les femmes enceintes, trois jours après un accouchement. Une vidéo virale du journal Listin Diario, montrant une femme haïtienne enceinte forcée de monter dans un bus de déportation, a choqué la communauté haïtienne, de Port-au-Prince à Miami.

Une tournée sous haute tension

Accompagné du ministre de la Défense, Carlos Antonio Fernández Onofre, et du commandant général de l’Armée, Iván Camino Pérez, Abinader a entamé une tournée stratégique dans les provinces frontalières de Dajabón, Elías Piña, Jimaní et Pedernales. À Dajabón, il a inspecté l’avancement du mur frontalier, un projet controversé visant à freiner l’immigration haïtienne. À Pedernales, il a visité des hôtels à Cabo Rojo, vantant le potentiel touristique dominicain tout en renforçant la militarisation de la frontière.

Sous haute surveillance, des troupes supplémentaires ont été déployées pour contrer l’immigration irrégulière et les activités illégales, comme le trafic de marchandises. Ces mesures s’inscrivent dans une politique sécuritaire agressive, incluant 15 mesures migratoires annoncées en avril, qui ont déjà conduit à l’expulsion de 86 000 Haïtiens sans papiers au premier trimestre 2025, selon Listin Diario.

Amnesty International maintient la pression

Amnesty International n’a pas tardé à répliquer. Ana Piquer, directrice du programme Amériques, a dénoncé des « expulsions collectives » contraires au droit international. « Le gouvernement dominicain doit immédiatement abroger ce protocole liant l’accès aux soins à une expulsion », a-t-elle exigé, qualifiant les mesures de « discriminatoires » et dangereuses pour les vies haïtiennes. L’ONG pointe du doigt des cas comme celui d’une femme enceinte déportée, soulignant une « systématisation de la discrimination » contre les Haïtiens.

Cette critique fait écho aux appels du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) haïtien, qui, le 24 avril, a condamné les « violations des droits fondamentaux » subies par les Haïtiens. Le CPT a exhorté à un dialogue bilatéral, mais la réponse d’Abinader suggère une volonté de durcir encore sa position, au grand dam de la diaspora haïtienne, notamment à New York et Montréal, où des manifestations anti-déportation sont prévues.

Une blessure ouverte pour les Haïtiens

Pour les Haïtiens, en Haïti comme à l’étranger, les paroles d’Abinader sont une nouvelle blessure. À Port-au-Prince, où les gangs de Viv Ansanm contrôlent 85 % de la ville, les rapatriés arrivent dans un pays en crise, sans ressources ni soutien. À Miami, la communauté haïtienne, forte de dizaines de milliers de membres, dénonce un « racisme institutionnel ». « On nous traite comme des moins que rien, même quand on a besoin de soins », confie Marie, une Haïtienne de Brooklyn, à Horizon 360 News.

Les souvenirs des déportations brutales de 2013-2015, lorsque des milliers de Dominicains d’origine haïtienne ont été expulsés, restent vifs. Les mots d’Abinader ravivent cette douleur, tout en soulignant l’incapacité d’Haïti à protéger ses citoyens face à un voisin puissant.

Un appel au dialogue dans l’impasse

Le CPT et des organisations comme le Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés (GARR) plaident pour une coopération bilatérale, mais les chances d’un dialogue semblent minces. Abinader, qui justifie ses mesures par la crise sécuritaire en Haïti, accuse la communauté internationale d’inaction. « Haïti est abandonné, et nous devons protéger notre pays », a-t-il répété, un discours qui trouve écho auprès de certains Dominicains, mais attise la colère des Haïtiens.

La diaspora, de Montréal à Paris, se mobilise pour faire entendre sa voix. Des pétitions circulent pour demander à l’ONU d’intervenir, tandis que des artistes haïtiens, comme Fabrice Rouzier, actuellement en procès pour défendre ses droits d’auteur, appellent à la solidarité. « Notre lutte, c’est aussi celle de notre dignité », a-t-il déclaré récemment, un message qui résonne dans ce contexte.

Un défi pour l’avenir haïtien

La provocation d’Abinader met Haïti face à un défi de taille : comment défendre ses citoyens à l’étranger tout en luttant contre le chaos interne ? Alors que Port-au-Prince s’enfonce dans la violence, avec des fermetures comme celle de l’Hôpital de Mirebalais et de l’hôtel Marriott, le pays a besoin d’unité et de soutien international. À vous, Haïtiens d’ici et d’ailleurs, que pouvons-nous faire pour transformer cette indignation en action ? La réponse, peut-être, réside dans notre solidarité et notre voix collective.

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