L’ex-patron de la Télévision nationale d’Haïti passe de témoin à accusé en quelques heures. Gamall Jules Augustin, qui dirigeait la TNH depuis 2015, s’est retrouvé menotté mardi soir après son audition à l’ULCC sur des accusations de détournement et d’abus de fonction. Une arrestation que conteste vivement sa défense, dénonçant un dépassement de pouvoir de l’institution anticorruption.

Celui qui incarnait le visage de la télévision publique haïtienne depuis près d’une décennie vit aujourd’hui ses heures les plus sombres. Gamall Jules Augustin, convoqué « volontairement » par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), ne s’attendait visiblement pas à finir sa journée au dépôt du parquet de Port-au-Prince.

Un dossier explosif qui traîne depuis février

L’affaire ne date pas d’hier. Dès février 2025, le journaliste Rudy Thomas Sanon avait lancé une pétition réclamant une enquête sur la gestion d’Augustin. Au cœur des accusations : recrutements sous de faux noms, dépenses personnelles somptuaires dans les hôtels, et une gestion technique défaillante du média d’État.

Des allégations qui rappelleront des souvenirs amers à la diaspora haïtienne, habituée aux scandales de corruption impliquant les dirigeants des institutions publiques. Pour ceux qui suivent l’actualité depuis Miami, New York ou Montréal, cette arrestation s’inscrit dans une longue série de dérapages au sein de l’administration haïtienne.

Le syndicat des employés des médias d’État avait également tiré à boulets rouges sur l’ancien directeur, l’accusant de « malversations » et de compromettre l’indépendance éditoriale de la RTNH. Des critiques qui résonnent particulièrement dans un pays où l’information libre reste un combat quotidien.

Un pouvoir d’arrestation contesté

Mais c’est surtout la procédure qui fait polémique. Me Mario Delcy, avocat d’Augustin, sort de ses gonds et dénonce une « procédure illégale et arbitraire ». Selon lui, l’ULCC aurait outrepassé ses prérogatives en procédant à cette arrestation.

« L’article 11 de la loi organique de l’institution précise uniquement le rôle de l’ULCC dans la conduite des investigations et autorise ses agents à procéder à des perquisitions et saisies, mais ne mentionne aucunement l’autorité de procéder à des arrestations », martèle l’avocat.

Cette controverse juridique n’est pas nouvelle. Me Delcy rappelle un précédent sous l’ancien directeur de l’ULCC, feu Me Claudy Gassan, quand le citoyen Alcantara avait été arrêté dans des conditions similaires avant d’être libéré sur ordre du commissaire du gouvernement.

Des accusations lourdes sur treize ans de gestion

Les charges retenues contre Augustin couvrent l’essentiel de sa carrière à la TNH : abus de fonction, prise illégale d’intérêts, détournement de biens publics et faux en écriture. Une liste qui englobe ses fonctions de directeur général adjoint (2012-2015) puis de directeur général jusqu’aux récentes activités de restructuration en 2025.

Ces accusations touchent au cœur de ce qui devrait être le service public de l’information en Haïti. Pour les téléspectateurs haïtiens du monde entier, qui suivent les programmes de la TNH via satellite ou internet, ces révélations jettent une ombre sur la crédibilité du média national.

Un symbole qui tombe

Au-delà du personnage, c’est tout un système qui est mis en cause. Augustin représentait une certaine stabilité à la tête de la TNH, dans un paysage médiatique haïtien souvent chaotique. Sa chute illustre les difficultés chroniques de gouvernance qui minent les institutions publiques haïtiennes.

L’ex-directeur comparaîtra aujourd’hui devant le chef de la poursuite. Une audience qui s’annonce décisive, non seulement pour son avenir personnel, mais aussi pour l’avenir de la lutte anticorruption en Haïti. Car derrière cette affaire se pose une question fondamentale : l’ULCC a-t-elle les moyens de ses ambitions, ou risque-t-elle de voir ses dossiers s’effondrer sur des vices de procédure ? Pour un pays où l’impunité reste la règle, cette affaire pourrait marquer un tournant… ou confirmer une fois de plus que la justice haïtienne peine à se réformer.

Partager.

Les commentaires sont fermés.

Exit mobile version