L’expiration de la loi Hope/Help le 30 septembre dernier pourrait porter un coup fatal à la plus grande industrie d’Haïti. Entre lobbying désespéré à Washington et menaces de fermetures d’usines, des milliers de familles haïtiennes attendent de savoir si leurs emplois survivront jusqu’en décembre.
C’est un peu comme si on retirait l’échelle à quelqu’un qui essaie de sortir d’un puits. Pendant près de vingt ans, la loi Hope/Help a permis aux produits textiles haïtiens d’entrer aux États-Unis sans droits de douane. Résultat : des dizaines de milliers d’emplois créés, des familles qui mangent à leur faim, une bouffée d’oxygène pour l’économie. Mais depuis le 30 septembre 2025, ce programme n’existe plus officiellement. Et le compte à rebours a commencé.
Une bouée de sauvetage qui coule
Pour comprendre l’ampleur du drame, il faut regarder les chiffres. La loi Hope/Help, lancée en 2006 et renforcée après le séisme de 2010, représentait 90 % des exportations haïtiennes. Elle permettait à des marques comme Hanes, Calvin Klein, Gap et Victoria’s Secret de faire produire leurs vêtements en Haïti plutôt qu’en Asie.
Au parc industriel de Codevi, près de la frontière dominicaine, 18 000 des 26 000 emplois textiles du pays sont concentrés. « Sans ces emplois, nous allons voir davantage de personnes abandonnées à la rue, attirées par la criminalité et les gangs », alerte Fernando Capellán, président de Codevi, dans le Wall Street Journal.
Pour les Haïtiens de la diaspora qui envoient des remises au pays, c’est un cercle vicieux qui se profile : moins d’emplois signifie plus de dépendance envers l’aide familiale, alors que les conditions économiques se détériorent.
Washington fait la sourde oreille
Depuis des mois, les chefs d’entreprise haïtiens multiplient les missions de lobbying à Washington. Georges Sassine, vétéran du secteur textile haïtien, résume la frustration : « Tout le monde dit oui, oui, oui, mais rien ne se passe. »
Le problème ? L’administration Trump a une autre vision. Le président américain l’a dit clairement en mai dernier : « Honnêtement, je ne cherche pas à fabriquer des t-shirts. Je ne cherche pas à fabriquer des chaussettes. » Sa priorité : rapatrier l’industrie militaire et technologique aux États-Unis, pas le textile.
Mais voilà le paradoxe : les États-Unis ont réalisé un excédent commercial de près de 600 millions de dollars avec Haïti l’année dernière. Le coton américain part en Haïti, revient transformé en vêtements, et les Haïtiens achètent avec leurs salaires du riz de Louisiane (260 millions $) et du carburant américain (500 millions $). Un deal gagnant-gagnant qui pourrait s’effondrer.
Une dernière chance jusqu’en décembre
La situation n’est pas encore totalement désespérée. Comme l’explique Georges Sassine au Nouvelliste, « la loi Hope/Help est morte, hier soir, 30 septembre mais elle n’est pas encore inhumée. Nous avons entre aujourd’hui et le 19 décembre. »
Une seconde mission a été menée à Washington, et des « signaux positifs » sont apparus. L’ambassadeur d’Haïti à Washington, Lionel Delatour, garde espoir et imagine même que « le président Trump publiera un message sur Truth Social pour souligner l’importance de la loi ».
Un rêve ? Peut-être. Mais comme le dit l’ambassadeur : « Après tout, la réalité suit les rêves ! »
Les conséquences d’un refus seraient catastrophiques
Si le Congrès américain ne renouvelle pas Hope/Help, les importateurs américains devront payer des droits de douane entre 20 et 30 %, plus le « tarif réciproque » de 10 % imposé par Trump. Impossible pour les entreprises haïtiennes de rester compétitives face à la Chine, au Bangladesh ou au Vietnam.
Le ministre du Commerce James Monazard est clair : sans Hope/Help, impossible de « relancer l’économie » dans ce « contexte de crise où le Conseil présidentiel de transition et le gouvernement s’évertuent à créer des conditions propices » au redressement du pays.
Et comme le souligne Maulik Radia, président de l’Association des industries d’Haïti : « Ce qui assure la sécurité, ce sont les emplois. » Chaque poste dans le textile fait vivre plusieurs membres d’une famille. Perdre ces emplois, c’est pousser des milliers de personnes vers le recrutement des gangs ou vers l’exil.
Un éléphant blanc nommé Caracol
Le parc industriel de Caracol, dans le nord d’Haïti, symbolise à lui seul l’échec potentiel. Inauguré en 2012 avec 300 millions de dollars d’investissements américains et de banques de développement, il devait employer des dizaines de milliers de personnes. Aujourd’hui ? Seulement 2 000 employés, à cause de l’insécurité et de l’incertitude autour de Hope/Help.
« Ce sera un véritable éléphant blanc », prédit Fernando Capellán. Un gaspillage monumental qui pourrait devenir le symbole d’une occasion manquée.
Le temps presse
Entre aujourd’hui et décembre, tout peut basculer. L’AmCham (Chambre de commerce américaine) et l’ADIH (Association des industries d’Haïti) ont uni leurs forces. La représentante démocrate Sheila Cherfilus-McCormick, élue de Floride où vit une importante diaspora haïtienne, martèle que « l’avenir d’Haïti et la sécurité des États-Unis en dépendent ».
Car au-delà des chiffres, c’est un signal qui serait envoyé : Haïti peut-elle encore compter sur ses partenaires internationaux, ou est-elle définitivement abandonnée à son sort ?
Pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs, l’équation est simple : pas d’emplois = plus de gangs, plus de faim, plus d’exode. Washington écoutera-t-il avant qu’il ne soit trop tard ? Les prochaines semaines nous le diront.