Face à l’échec relatif de la mission kényane, Port-au-Prince et Washington plaident pour une force internationale plus musclée de 5 550 hommes. Mais la Chine et la Russie pourraient faire capoter ce projet vital pour la survie de la capitale haïtienne.
Lundi 22 septembre 2025, Laurent Saint-Cyr a livré un constat sans appel devant l’Assemblée générale de l’ONU : la Mission multinationale de sécurité (MMAS) menée par le Kenya « demeure limitée dans sa capacité d’action » face aux gangs qui étranglent Port-au-Prince. Une déclaration qui sonne comme un aveu d’échec, mais surtout comme un cri d’alarme pour obtenir enfin les moyens de reconquérir Haïti.
De 2 500 espérés à 1 000 déployés : l’équation impossible
Lancée en 2023 avec l’espoir de stabiliser un pays en déroute, la MMAS n’a jamais atteint ses objectifs. Sur les 2 500 hommes initialement prévus, à peine 1 000 ont été déployés sur le terrain. Sous-équipée, sous-financée, cette force internationale n’a pas pu empêcher les gangs de « se réorganiser et d’étendre leur influence », comme l’a reconnu le président du Conseil présidentiel de transition.
Pour les Haïtiens de la diaspora qui suivent avec angoisse la situation de leur pays natal, ces chiffres résonnent comme un terrible gâchis. Combien de familles à Miami, New York ou Montréal espéraient que cette mission internationale permettrait enfin un retour à la normale ?
Washington propose une force de combat de 5 550 hommes
Face à cette situation, les États-Unis et le Panama ont élaboré un projet de résolution ambitieux : transformer la MMAS en une véritable « force de répression des gangs » comptant jusqu’à 5 550 personnels, mélange de policiers et de soldats. Une montée en puissance considérable qui témoigne de l’urgence de la situation.
Le secrétaire d’État américain adjoint Christopher Landau a été clair : cette nouvelle force aurait « le pouvoir de s’attaquer aux gangs de manière proactive » et disposerait des « outils appropriés » pour « réduire le territoire sous contrôle des gangs ». Un changement de doctrine qui passe d’une mission de soutien à une véritable opération de reconquête territoriale.
Le Kenya entre fierté et réalisme
Malgré les critiques, le président kényan William Ruto a défendu le bilan de ses troupes avec une pointe d’orgueil : « Quand le premier contingent est arrivé il y a un an à Port-au-Prince, peu de gens pensaient qu’un Boeing 787 pourrait un jour se poser à l’aéroport local sans risquer d’être abattu. »
Le dirigeant kényan a souligné que ses forces avaient permis de sécuriser le port, le palais présidentiel et le quartier général de la police. Des acquis non négligeables, mais insuffisants face à l’ampleur du défi. Ruto s’est toutefois engagé à poursuivre l’effort : « Le Kenya ne quittera pas Haïti à la hâte. »
L’obstacle sino-russe plane sur les négociations
Mais le projet américano-panaméen se heurte déjà à des résistances géopolitiques. La Russie et la Chine, dotées du droit de veto au Conseil de sécurité, n’ont « pas vraiment participé aux négociations », selon une source diplomatique. Pékin s’était déjà montré sceptique sur l’efficacité de toute mission internationale sans transition politique crédible en Haïti.
L’ambassadeur chinois adjoint Geng Shuang a appelé à une « évaluation complète » et à tirer « les leçons du passé », des formules diplomatiques qui laissent présager de difficiles négociations. Christopher Landau a d’ailleurs averti : « Malheureusement, l’adoption de cette résolution n’est pas gagnée. »
Une course contre la montre
Avec l’expiration du mandat de la MMAS début octobre, l’urgence est réelle. Depuis que les gangs ont poussé l’ancien Premier ministre Ariel Henry à la démission début 2024, la situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader. Dans un pays privé d’élections depuis 2016, chaque jour de paralysie institutionnelle renforce l’emprise des bandes criminelles sur la population.
Alors que Port-au-Prince suffoque sous le joug des gangs et que des milliers d’Haïtiens risquent leur vie en mer pour fuir cette violence, la communauté internationale saura-t-elle enfin se mobiliser efficacement ? La réponse se jouera dans les prochains jours dans les couloirs feutrés de l’ONU, loin des balles qui sifflent dans les rues de la capitale haïtienne.