C’est officiel : le Conseil de sécurité de l’ONU a approuvé mardi la transformation de la mission kényane en une force internationale renforcée pour combattre les gangs en Haïti. Port-au-Prince salue cette décision, mais sur le terrain, l’espoir se mêle au scepticisme.
Port-au-Prince, 30 septembre 2025 – Après des mois d’attente et de négociations diplomatiques, le Conseil de sécurité des Nations Unies a enfin tranché. La Mission multinationale de soutien à la police (MMAS), menée par le Kenya, devient officiellement une force internationale renforcée de lutte contre les gangs, pouvant compter jusqu’à 5 500 policiers et militaires.
Pour le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, c’est « une avancée majeure ». Mais pour les Haïtiens coincés entre les balles perdues à Cité Soleil, Martissant ou Carrefour, la vraie question reste : est-ce que ça va vraiment changer quelque chose sur le terrain ?
Une transformation longuement attendue
La MMAS, arrivée en Haïti avec beaucoup d’espoir il y a plusieurs mois, n’a pas produit les résultats escomptés. Sous-financée, sous-équipée, et confrontée à des gangs lourdement armés qui contrôlent plus de 80 % de Port-au-Prince, la mission kényane patinait.
Cette transformation vise justement à corriger le tir. Avec un effectif presque doublé et un mandat plus musclé, la nouvelle force aura théoriquement les moyens de « brider la violence des gangs et protéger la population haïtienne », selon les mots du gouvernement.
Un Bureau de soutien de l’ONU sera également mis en place pour assurer « la coordination et l’efficacité opérationnelle ». En clair : éviter le chaos administratif et logistique qui a plombé la première version de la mission.
Un consensus international… avec des abstentions stratégiques
Ce qui frappe dans ce dossier, c’est le jeu diplomatique qui s’est joué au Conseil de sécurité. Le gouvernement haïtien a tenu à remercier publiquement une longue liste de pays :
- Les États-Unis, moteur de l’initiative et principal bailleur de fonds
- Le Kenya, qui continue de mener la mission malgré les critiques
- Le Panama, le Salvador, le Guatemala, la Jamaïque et les Bahamas, membres du « Standing Group » qui soutiennent l’effort
- La CARICOM et l’OEA, fidèles alliés régionaux
Mais le plus surprenant, c’est le remerciement adressé à la Russie et à la Chine. Ces deux puissances, souvent critiques des interventions occidentales, se sont abstenues lors du vote, permettant ainsi l’adoption de la résolution. Un geste diplomatique que Port-au-Prince salue comme une « responsabilité partagée » de la communauté internationale.
Pour les observateurs, cette abstention n’est pas anodine. Elle témoigne d’un certain pragmatisme : ni Moscou ni Pékin ne voulaient être vus comme les empêcheurs de stabiliser Haïti, même s’ils ne cautionnent pas pleinement l’approche occidentale.
Sur le terrain, l’urgence reste totale
Pendant que les diplomates s’applaudissent à New York, les Haïtiens continuent de vivre l’enfer quotidien. Les gangs contrôlent les routes, les ports, les quartiers entiers. Les massacres se succèdent. Les enlèvements aussi. Et les forces de police haïtiennes, dépassées et sous-équipées, ne peuvent rien faire seules.
La question que se posent beaucoup d’Haïtiens, ici comme dans la diaspora : quand ces 5 500 hommes arriveront-ils vraiment ? Et surtout, auront-ils les moyens d’agir, ou resteront-ils confinés dans des zones sécurisées pendant que les gangs continuent de terroriser la population ?
Le gouvernement « réaffirme sa détermination à coopérer pleinement » avec cette force, tout en insistant sur le « respect absolu de sa souveraineté nationale ». Une phrase diplomatique qui cache une tension réelle : comment accepter une intervention étrangère sans donner l’impression de perdre le contrôle du pays ?
Un pari risqué
Transformer la MMAS en force de maintien de la paix, c’est un peu comme changer de médecin quand le premier traitement ne marche pas. Ça peut améliorer les choses… ou aggraver la situation si le diagnostic reste le même.
Car au-delà des effectifs et du matériel, le vrai défi reste politique. Tant que les gangs auront des parrains politiques, des armes qui entrent librement par les ports, et une population désespérée à recruter, aucune force internationale – qu’elle compte 1 000 ou 10 000 hommes – ne pourra régler le problème seule.
Le gouvernement parle de « restaurer l’ordre, la sécurité et la confiance dans les institutions de l’État ». Mais ces institutions existent-elles encore vraiment ? C’est toute la question.
Et maintenant ?
Les prochaines semaines seront déterminantes. Il faudra observer :
- Le déploiement effectif des troupes supplémentaires
- Leur stratégie sur le terrain face aux gangs
- Le soutien logistique et financier promis par la communauté internationale
- Mais surtout, la réaction de la population haïtienne, qui oscille entre espoir et lassitude
Car après tant de missions, de plans et de promesses non tenues, beaucoup d’Haïtiens ont appris à ne plus croire aux annonces. Ils veulent des résultats concrets : pouvoir sortir de chez eux sans craindre pour leur vie, envoyer leurs enfants à l’école, travailler normalement.
La balle est dans le camp de cette nouvelle force internationale. Les Haïtiens attendent. Encore une fois. Espérons que cette fois-ci, ce ne sera pas en vain.