Un chèque de 10 millions destiné aux commémorations de Vertières, un compte bancaire privé ouvert en douce, 7,66 millions retirés en liquide… L’ULCC dévoile un système de détournement orchestré au plus haut niveau du ministère de la Jeunesse et des Sports.

L’affaire fait scandale et illustre parfaitement pourquoi tant d’Haïtiens perdent confiance en leurs institutions. Pendant que des milliers de jeunes manquent d’équipements sportifs de base dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, Carrefour ou Cap-Haïtien, 10 millions de gourdes destinées à honorer nos héros de l’indépendance ont été détournés par ceux-là même censés servir la nation.

Un système rodé de détournement

L’enquête de l’ULCC révèle un mécanisme bien huilé. Tout commence par une demande de la ministre Niola Lynn Sarah Dévalis Octavius à sa collègue des Finances, Marie D.A Ketleen Florestal. Malgré les réserves du contrôleur financier – ce garde-fou censé protéger l’argent public – le chèque de 10 millions est autorisé.

Première irrégularité : au lieu d’être émis au nom du véritable bénéficiaire, le chèque est établi au nom de Ludner Vogel Desforges, comptable en chef du MJSAC. Une pratique illégale qui contourne délibérément les règles de la comptabilité publique.

Deuxième manœuvre suspecte : sur ordre de la ministre, ce même Ludner Desforges ouvre un compte privé à la Banque nationale de crédit pour y déposer le chèque public. Imaginez un instant qu’un fonctionnaire haïtien travaillant à l’étranger tente la même chose avec l’argent de son employeur – il se retrouverait immédiatement devant les tribunaux.

7,66 millions en cash dans les poches du garde du corps

Le plus choquant reste à venir. Dès l’ouverture du compte, Jean Vilaire Maître, chef de sécurité de la ministre, reçoit 1 million de gourdes en liquide. Entre le 22 novembre et le 11 décembre 2024, cet homme empoche au total 7,66 millions de gourdes en espèces, comme le prouvent des échanges WhatsApp verbalisés par un juge de paix.

Pour les Haïtiens de la diaspora qui connaissent la valeur de l’argent durement gagné, ces chiffres donnent le vertige. 7,66 millions de gourdes, c’est l’équivalent de plusieurs décennies de salaire minimum au pays, volatilisés sans justification.

Des factures fantômes et des primes personnelles

Le reste des fonds n’a pas été mieux géré. Sur les 2,19 millions dépensés par chèque, plusieurs transactions n’ont aucune pièce justificative. L’exemple le plus frappant : 700 000 gourdes versées à l’ancienne directrice départementale Jean-Baptiste Armande D. pour une prétendue « sonorisation », sans le moindre document à l’appui.

Plus grave encore, le comptable Ludner Desforges avoue avoir reçu 148 000 gourdes comme « prime personnelle » de la part de la ministre. Il prétend avoir voulu les restituer, mais aucun dépôt n’a pu être retracé. Une version qui ressemble fort à une tentative de se dédouaner après coup.

Vertières salie par la cupidité

L’ironie est amère : ces fonds étaient destinés à commémorer la bataille de Vertières, ce moment glorieux où nos ancêtres ont chassé l’armée napoléonienne pour fonder la première république noire du monde. Au lieu d’honorer cette mémoire sacrée, certains dirigeants l’ont souillée par leur cupidité.

Pour les nombreux Haïtiens qui célèbrent chaque 18 novembre avec fierté, que ce soit à Brooklyn, à Montréal ou dans nos provinces, ce détournement constitue une gifle à notre histoire collective.

L’ULCC demande des sanctions exemplaires

Face à ce système de corruption bien organisé, l’ULCC ne fait pas dans la dentelle. L’institution recommande des poursuites pénales contre la ministre Niola Octavius pour « détournement de biens publics, abus de fonction et association de malfaiteurs ».

Les complices ne sont pas oubliés : Ludner Desforges pour « tentative de détournement » et Jean Vilaire Maître pour « complicité ». L’ULCC demande aussi un audit complet de la gestion de la ministre par la Cour supérieure des comptes.

Révélateur : malgré les convocations répétées, la ministre Octavius a brillé par son absence lors des auditions. Un mépris qui en dit long sur sa conception du service public.

Cette affaire dépasse le simple détournement de fonds. Elle symbolise tout ce qui dysfonctionne dans la gestion publique haïtienne : l’impunité, le mépris des règles, l’enrichissement personnel au détriment de l’intérêt collectif. Pendant que des jeunes Haïtiens rêvent d’avoir ne serait-ce qu’un terrain de football décent dans leur quartier, 10 millions s’évaporent dans les poches de ceux qui prétendent les servir. La vraie question maintenant : la justice aura-t-elle le courage de traduire ces responsables devant les tribunaux ? L’avenir de notre démocratie en dépend.

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