Douze mois sans salaire, des familles en détresse et un gouvernement qui reste sourd aux cris de ses employés. La dissolution bâclée du Centre National des Équipements révèle une fois de plus les dysfonctionnements chroniques de l’administration haïtienne, laissant des centaines de travailleurs dans une précarité extrême.

Un sit-in qui tourne au drame

Ce lundi 4 août, les rues de Musseau ont été le théâtre d’une nouvelle confrontation entre des citoyens en détresse et les forces de l’ordre. Des centaines d’anciens employés du Centre National des Équipements (CNE) s’étaient rassemblés devant la Primature pour réclamer leurs 12 mois de salaires impayés. Leur manifestation pacifique a rapidement viré au cauchemar lorsque la Police Nationale d’Haïti a dispersé les protestataires à coups de gaz lacrymogènes.

Les images qui circulent sur les réseaux sociaux rappellent douloureusement les nombreuses manifestations réprimées que connaît Haïti depuis des années. Des hommes et des femmes qui fuient, les yeux brûlés par la fumée, des motos-taxis tentant d’évacuer les plus touchés… Un spectacle devenu trop familier pour les Haïtiens, qu’ils vivent au pays ou qu’ils observent depuis l’étranger avec amertume.

Une dissolution administrative, un chaos humain

La racine du problème remonte à 2024, quand l’ancien Premier ministre Garry Conille avait décidé de dissoudre le CNE. Sur le papier, cette institution devait être intégrée aux ministères de la Défense et des Travaux publics. Une décision administrative qui semblait logique, mais dont l’application concrète n’a jamais eu lieu.

Résultat : des centaines de techniciens et d’ouvriers qualifiés – ces mêmes personnes qui contribuaient à maintenir les infrastructures du pays – se retrouvent dans un vide juridique total. Ni licenciés officiellement, ni réellement transférés, ils vivent depuis près d’un an dans l’incertitude la plus totale.

« Nous ne pouvons plus attendre. Nous avons des familles à nourrir, des enfants à envoyer à l’école », déclare Wildrick Séjour, président du Syndicat des Employés du CNE. Ses mots résonnent particulièrement fort à l’approche de la rentrée scolaire, période où chaque famille haïtienne doit jongler avec des dépenses accrues dans un contexte économique déjà difficile.

Le cri du cœur d’une classe ouvrière oubliée

Cette situation rappelle tragiquement les défis que vivent des milliers de familles haïtiennes, tant au pays que dans la diaspora. Combien de nos compatriotes à l’étranger envoient de l’argent pour pallier l’absence de revenus de leurs proches restés au pays ? Combien de familles doivent choisir entre nourrir leurs enfants et les envoyer à l’école ?

« Tout augmente, l’ouverture des classes approche, et je n’ai rien pour subvenir aux besoins de ma famille », témoigne l’un des manifestants. Une réalité que connaissent bien les Haïtiens de Port-au-Prince comme ceux du Cap-Haïtien, de Jacmel ou des communes rurales.

L’ironie est cruelle : ces techniciens qui réclamaient leurs dus sont précisément ceux dont le pays a besoin pour reconstruire ses infrastructures détruites par des années de crise. Pendant qu’Haïti cherche désespérément des compétences techniques pour ses projets de développement, elle laisse ses propres experts dans la misère.

Une radicalisation annoncée

Face au silence persistant des autorités et à la répression de leur mouvement pacifique, les manifestants menacent désormais de durcir leur action. « S’il faut bloquer les routes ou camper ici jour et nuit, nous le ferons », prévient l’un d’eux.

Cette escalade était prévisible. Après des mois de manifestations devant le ministère des Travaux publics sans aucune réponse, ces travailleurs n’avaient plus d’autre choix que de frapper à la porte du pouvoir exécutif. Leur détermination reflète non seulement leur détresse économique, mais aussi une colère profonde contre un État qui semble avoir abandonné ses propres citoyens.

Cette crise du CNE n’est qu’un symptôme parmi d’autres des dysfonctionnements de l’État haïtien. Combien d’autres institutions vivent des situations similaires dans l’ombre ? Et surtout, combien de temps encore les autorités de transition pourront-elles ignorer les cris de détresse de ceux qui ont consacré leur vie au service de leur pays ? Pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs qui suivent cette actualité, une question demeure : quand l’État haïtien cessera-t-il de trahir la confiance de ses propres citoyens ?

Partager.

Les commentaires sont fermés.

Exit mobile version