L’Organisation des États américains dévoile une ambitieuse « feuille de route » pour stabiliser Haïti d’ici 2028. Avec cinq piliers d’intervention et un budget colossal, ce plan mise sur le leadership haïtien tout en mobilisant la communauté internationale. Mais sera-t-il à la hauteur des défis titanesques du pays ?

Alors que les gangs contrôlent désormais 90% de la capitale haïtienne et que plus de 5 600 personnes ont péri dans la violence en 2024, l’Organisation des États américains (OEA) sort de sa boîte à outils un plan d’envergure. Une « feuille de route menée par Haïti pour la stabilité et la paix » dont le budget estimé frôle les 1,3 milliard de dollars américains.

Ce document de travail, révélé par Le Nouvelliste, dessine les contours d’une intervention coordonnée sur cinq fronts majeurs, s’étalant jusqu’en 2028. Un pari audacieux face à une crise qui a fait d’Haïti « le pays comptant le plus grand nombre de déplacements mondiaux par habitant », selon les données citées dans le plan.

Près d’un milliard pour l’urgence humanitaire

La répartition budgétaire ne laisse aucun doute sur les priorités immédiates : 908,2 millions de dollars sont destinés à la réponse humanitaire, soit plus des deux tiers de l’enveloppe totale. Un montant qui reflète l’ampleur du désastre humanitaire : 4,7 millions d’Haïtiens en insécurité alimentaire aiguë, plus de 60% sans accès à l’eau potable, et 2 millions d’enfants déscolarisés.

Pour la sécurité – pourtant au cœur des préoccupations – l’OEA prévoit « seulement » 96 millions de dollars. Une somme qui peut paraître dérisoire face aux défis sécuritaires, mais qui s’inscrit dans une logique de complémentarité avec la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) déjà déployée.

Une approche en deux temps pour la sécurité

Le volet sécuritaire adopte une stratégie pragmatique en deux phases. D’abord, une « intervention d’urgence » d’octobre 2025 à juillet 2026 pour « sécuriser les actifs stratégiques et infrastructures critiques ». Ensuite, une phase de « durabilité » jusqu’en juillet 2028, axée sur la reconstruction d’un système sécuritaire national cohérent.

Cette approche reconnaît implicitement que la Police nationale haïtienne (PNH) ne peut pas, seule, reprendre le contrôle du territoire. Le plan mise sur le renforcement de bases opérationnelles avancées et sur une professionnalisation en profondeur des forces de l’ordre.

Le pari du dialogue politique

Avec seulement 5,1 millions de dollars alloués au « consensus politique », ce pilier mise plus sur la méthode que sur les moyens financiers. L’OEA propose un processus de dialogue national en sept étapes, incluant l’examen du projet de nouvelle Constitution déjà en circulation.

Une démarche qui rappelle les nombreuses tentatives de dialogue national des décennies passées, avec l’espoir cette fois que le contexte de crise absolue favorise enfin l’émergence d’un consensus. Le plan prévoit des « campagnes de sensibilisation » pour cette nouvelle Constitution, suggérant que l’adoption se fera par référendum.

104 millions pour des élections crédibles

Le processus électoral, doté de 104,1 millions de dollars, constitue l’autre défi majeur. Comment organiser des élections dans un pays où les gangs dictent leur loi et où la confiance dans les institutions s’est évaporée ? Le plan de l’OEA ne détaille pas encore les modalités concrètes, mais cette enveloppe substantielle traduit la complexité de l’exercice.

Pour les Haïtiens de la diaspora – de Miami à Montréal en passant par Paris – cette question électorale reste cruciale. Nombreux sont ceux qui attendent des élections crédibles pour envisager un retour au pays ou, à défaut, retrouver confiance en leur patrie.

Un leadership haïtien… sous tutelle ?

Le document insiste lourdement sur le « leadership haïtien » et « l’appropriation nationale » du processus. Pourtant, l’architecture proposée laisse peu de doutes : l’OEA se positionne comme « plateforme clé » avec un bureau national renforcé et des « équipes techniques et politiques » déployées sur le terrain.

Cette tension entre souveraineté revendiquée et tutelle de facto n’est pas nouvelle en Haïti. Elle risque de nourrir les critiques de ceux qui dénoncent déjà une « mise sous tutelle » du pays par la communauté internationale.

Des chiffres qui donnent le vertige

Au-delà des montants, les statistiques citées dans le plan glacent le sang : 1,3 million de déplacés internes (soit plus de 10% de la population), un taux de chômage dépassant 40%, une inflation supérieure à 25%, et près de 40% des Haïtiens vivant avec moins de 2,15 dollars par jour.

Ces chiffres rappellent que derrière les stratégies et les budgets se cache une tragédie humaine d’une ampleur rarement vue dans l’hémisphère américain.

Reste maintenant à savoir si cette énième feuille de route échappera au sort de ses devancières. Car pour les millions d’Haïtiens qui survivent au quotidien dans l’enfer des gangs, ce qui compte n’est plus les promesses sur papier, mais les résultats concrets sur le terrain. L’Histoire retiendra-t-elle 2025 comme l’année du sursaut ou celle de l’effondrement définitif ?

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