Un chauffeur de mototaxi pris en flagrant délit de transport de munitions pour le redoutable gang « Gran grif » de Savien a été lynché dimanche dernier à Jean-Denis. Cet acte de justice expéditive révèle l’exaspération des communautés face à l’impunité et soulève des questions troublantes sur l’état de droit en Haïti.
Pris la main dans le sac
Wendy Edmond croyait sans doute effectuer une livraison comme les autres ce dimanche 3 août. Ce chauffeur de mototaxi de 28 ans, originaire de Bwa Lavil et résidant à Frécyneau, transportait deux sacs de munitions d’armes automatiques destinées à Lucson Elan, le chef du gang « Gran grif » qui terrorise la région de Savien dans l’Artibonite.
Mais son voyage s’est arrêté brutalement à Jean-Denis, où les groupes d’autodéfense locaux l’ont intercepté. Face aux caméras, sous la pression des résistants populaires, Edmond a avoué son rôle dans ce trafic mortel. « Ceux qui me confient ces munitions m’ont rencontré à Mac-Donald et se nomment Alain et Tcharly », a-t-il déclaré, désignant ainsi ses commanditaires.
Un réseau qui s’étend jusqu’aux centres urbains
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la sophistication du réseau de trafic d’armes. Le point de rendez-vous à Mac-Donald, à Frécyneau – une zone relativement paisible à l’entrée de Saint-Marc – montre comment les tentacules des gangs s’infiltrent dans les quartiers apparemment normaux.
Cette réalité n’est pas étrangère aux Haïtiens, qu’ils vivent au pays ou dans la diaspora. Combien de familles découvrent avec horreur que leur quartier tranquille cache des activités criminelles ? Combien de jeunes, par nécessité économique ou par naïveté, se laissent entraîner dans ces réseaux sans mesurer les conséquences ?
Le commissariat de Saint-Marc confirme avoir « des informations pertinentes » sur ce trafic et annonce plusieurs arrestations. Mais une question demeure : combien d’autres Wendy Edmond sillonnent les routes haïtiennes, transportant la mort vers les bases criminelles ?
La colère des communautés
Le lynchage de Wendy Edmond, aussi condamnable soit-il d’un point de vue légal, traduit une frustration profonde des populations. Dans un pays où la justice officielle peine à fonctionner, où l’impunité règne souvent en maître, certaines communautés choisissent de faire justice elles-mêmes.
Cette réaction rappelle d’autres cas similaires à travers le pays, où des individus soupçonnés de complicité avec les gangs ont subi le même sort. Un phénomène qui inquiète autant qu’il révèle l’état de déliquescence du système judiciaire haïtien.
Les coalitions d’autodéfense de Jean-Denis n’ont pas hésité à aller plus loin : une maison liée au réseau a été incendiée, et deux femmes – la mère d’un fournisseur et la compagne de Wendy – ont été emmenées pour interrogatoire. « Elles peuvent être utiles au démantèlement du réseau », justifie un responsable local.
Les failles du système sécuritaire
L’affaire révèle aussi les défaillances dans la lutte anti-gang. Un dirigeant de la coalition locale déplore le déplacement du commissaire principal Jean Jude Chéry en octobre 2024, affirmant que ce changement a interrompu des opérations prometteuses contre le réseau de Mac-Donald.
Ces rotations fréquentes dans les postes de responsabilité, familières à tous ceux qui suivent l’actualité haïtienne, compromettent souvent la continuité des enquêtes et des opérations de sécurité. Une réalité frustrante pour les citoyens qui voient leurs efforts de collaboration avec les forces de l’ordre constamment remis à zéro.
Entre justice et vigilantisme
L’émotion suscitée par cette affaire dans l’opinion publique est compréhensible. Les citoyens demandent plus de vigilance sur les routes, plus de contrôles, plus d’efficacité dans la lutte contre les réseaux criminels. Mais ils semblent aussi accepter, voire encourager, ces actes de justice populaire.
Cette dérive vers le vigilantisme pose des questions fondamentales : jusqu’où les communautés peuvent-elles aller pour se protéger ? Comment concilier le droit légitime à la sécurité avec le respect de l’état de droit ? Et surtout, comment restaurer la confiance dans un système judiciaire qui semble avoir abdiqué face aux défis sécuritaires ?
Le cas Wendy Edmond illustre tragiquement l’impasse dans laquelle se trouve Haïti : entre un État affaibli incapable de protéger ses citoyens et des communautés qui prennent la justice en main avec tous les risques que cela comporte. Pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs qui aspirent à un pays de droit, cette affaire rappelle l’urgence de reconstruire des institutions crédibles avant que la justice populaire ne devienne la norme.