Le directeur du RNDDH a interpellé la secrétaire générale de la Francophonie sur l’effondrement total de l’État haïtien. Entre massacres de gangs, 1,3 million de déplacés et impasse politique, le cri d’alarme résonne jusqu’au cœur de l’Europe.

Quand Pierre Espérance franchit les portes du siège de l’Organisation Internationale de la Francophonie à Paris, c’est avec le poids de toute une nation en détresse sur les épaules. Face à Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale rwandaise, le directeur du RNDDH n’a pas mâché ses mots : Haïti traverse la pire crise de son histoire moderne.

Un tableau apocalyptique dressé devant la Francophonie

« Gran Grif et Viv Ansanm continuent d’étendre leurs tentacules à travers le pays, massacrant une population civile livrée à elle-même », a déclaré Espérance lors de cet entretien qualifié de « fructueux ». Derrière cette formule diplomatique se cache une réalité brutale que nos compatriotes de la diaspora suivent avec angoisse depuis leurs foyers de Miami, Montréal, Paris ou New York.

Le massacre de Laboderie, dans l’Arcahaie, où plus de cinquante civils ont été exécutés les 11 et 12 septembre par la coalition Viv Ansanm, illustre tragiquement cette escalade de violence. Pour beaucoup d’entre nous qui avons des proches dans cette région, chaque nouvelle de ce type fait l’effet d’un coup de massue.

1,3 million de déplacés : une nation en fuite

Les chiffres énoncés par Pierre Espérance donnent le vertige. Plus de 1,3 million d’Haïtiens vivent aujourd’hui dans des camps de déplacés, dans des conditions d’insalubrité extrême. Pour mieux saisir l’ampleur du désastre, c’est comme si toute la population de Port-au-Prince avant la crise était contrainte de fuir son foyer.

« Ces familles sont exposées à toutes sortes de maladies et à une détresse quotidienne », a souligné le défenseur des droits humains. Une situation qui rappelle douloureusement les lendemains du séisme de 2010, mais en pire, car cette fois-ci, c’est la violence humaine qui chasse les gens de chez eux.

L’État fantôme et l’impasse politique

Au-delà des violences, c’est tout l’édifice étatique qui s’effrite. L’accord du 3 avril 2024 qui avait donné naissance au Conseil Présidentiel de Transition ? Lettre morte. Les élections promises pour organiser un transfert de pouvoir légitime le 7 février 2026 ? Un mirage qui s’éloigne chaque jour davantage.

« Un effondrement complet de l’État, une gouvernance minée par la corruption et l’impunité érigées en système », résume Pierre Espérance. Un constat amer qui fait écho aux conversations dans nos familles dispersées aux quatre coins du monde, où l’on se demande si Haïti retrouvera un jour le chemin de la stabilité.

L’impunité, racine de tous les maux

Depuis 2018, combien d’auteurs de crimes de sang, de viols collectifs ou de détournements de fonds ont été jugés ? La réponse tient en un mot : aucun. Cette impunité généralisée nourrit un cercle vicieux que Pierre Espérance résume parfaitement : « Quand on aborde le problème d’Haïti, il faut voir un ensemble indissociable : gouvernance, impunité et insécurité. »

Pour nos frères et sœurs qui envoient encore de l’argent au pays, qui financent des écoles ou des projets communautaires, cette réalité est particulièrement frustrante. Comment construire quand tout s’effondre ? Comment investir dans l’avenir quand le présent semble sans espoir ?

La Francophonie, dernier recours ?

En s’adressant à Louise Mushikiwabo, Pierre Espérance mise sur les liens historiques et linguistiques qui unissent Haïti à la Francophonie. Après tout, notre pays fut le deuxième de l’histoire à adopter le français comme langue officielle, et nos écrivains, de Jacques Roumain à Dany Laferrière, ont enrichi la littérature francophone mondiale.

Mais les belles paroles suffiront-elles ? La communauté internationale a déjà tant promis et si peu livré. Entre les résolutions de l’ONU, les déclarations du Core Group et les promesses d’aide, les Haïtiens ont appris à se méfier des effets d’annonce.

Pierre Espérance a eu le courage de dire tout haut ce que beaucoup murmurent tout bas : Haïti est à l’agonie. Reste à savoir si son cri d’alarme trouvera écho dans les chancelleries ou s’il se perdra dans le brouhaha diplomatique. Pour les millions d’Haïtiens qui espèrent encore, l’attente devient insoutenable.

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